Fragments d’une errance merveilleuse, MEXIQUE

bribes d’un voyage au long cours du Mexique à la Bolivie sur les terres sacrées des Amériques

Une extraordinaire descente de continent d’une année de voyage à la rencontre du hasard qui n’existe pas

MEXIQUE

Les jardins flottants de Xochimilco

La mort en feu d’artifice

Je rejoins l’embarcadère. Des barques fleuries, sorte de gondoles mexicaines, tournent et s’entrechoquent comme un manège sur les eaux vaseuses de la lagune. À bord d’une de ces pirogues de carnaval, le spectacle improvisé entre les canaux, commence. Pendant que le piroguier dirige la barque à l’aide d’une longue perche, je suis captivée par des feux d’artifices et fusées lancés d’un autre bateau. À bord, une fanfare avec cuivres et violons accompagnant une sculpture de la vierge ornée de fleurs. Je songe d’abord à un mariage, mais au regard de ces couronnes de fleurs, il me semble que cette procession est un rite funéraire.

Comme il doit être doux de mourir en musique avec un ciel étincelant vous tombant dessus. La promenade est pittoresque. Nous croisons sur ces eaux, bordées de peupliers et de saules, des « gondoles » de mariachis. Ces derniers chantent des airs pathétiques et brûlants. Des pétales parfumés colorent les rives depuis l’époque aztèque. La traversée est un voyage sensuel. Le temps est radieux et la balade, fascinante. Cette atmosphère surannée m’inspire « luxe, calme et volupté ». La mort aurait elle un autre goût ?

Mexico la cuidad

Un compagnon de route

Je fais la connaissance de Silvio, italien, créateur de bijoux. Il voyage au Mexique pour s’inspirer des parures indigènes en vue d’une nouvelle collection. Le contact est instantané. Il me propose de l’accompagner au célèbre musée d’anthropologie dans un autre quartier de la ville. Nous prenons le métro. Je me laisse vagabonder vers des civilisations mystérieuses, dont les noms m’effleurent comme des guirlandes de feu et allument mon regard. Olmèque, Huastèque, Zapotèque, Mixtèque…Je rêve éveillée. Vers quelle promesse indicible la rencontre avec la mémoire de ces peuples va-t-elle m’élever ? Dans le musée, la balade est onirique.  Silvio prend des poses de sculptures mayas et s’adresse à moi comme si j’étais une réincarnation d’une déesse aztèque. Nous rions de bon cœur. Je suis fascinée par tant de richesse. Nous sortons à l’air. Dehors, le froid est perçant. Nous descendons à la station Zocalo, au cœur de la cité. Silvio et moi, au hasard des rues arpentées, dénichons une cantine au style rétro avec tables en formica. Un cachet qui nous charme. Au café la Blanca, nous mangeons des quesadillas de légumes avec des piments rouges et une sauce verte très épicée. Silvio note que les serveuses en tablier rose semblent sortir tout droit des fifties. Nous nous esclaffons. Cela nous apparaît comme un décor de film.

Silvio avec la même ironie me conte ses méandres avec les femmes. Nous badinons comme de vieux amis. Il me dit que je suis jolie. Je lui réponds que je cherche plutôt un compagnon de route. Ça lui va comme un gant. Silvio connaît bien le Mexique. « C’est un voyage latino qui t’attends ! » dit-il avec emphase. Il me propose un bout de chemin. Je suis en joie. Je lui confie que dans chaque pays se trouve un ange qui éclaire mes premiers pas. « L’Ange de premières heures ». Il me sourit avec tendresse. Le lendemain, il m’offre un bijou de sa création, une sphère en argent du nom de « l’appel de l’Ange ».

Elle fait un bruit délicat de clochette. Le bijou sert aux femmes enceintes pour entrer en communication profonde avec l’enfant. Lorsque l’enfant grandit, la mère en agitant la clochette comme une bonne fée, fait voyager l’enfant. Il se souvient et tout son être aspire à devenir cet ange. Un signe de bon augure. Nous dînons dans une cantine des tortillas aux cactus. Nous nous quittons, légers comme une plume. Je me sens pousser des ailes. Mon enfant-livre semble protégé.

San miguel de allende

La vie à deux et en musique

Silvio m’accompagne. Lui me dit que c’est moi. Cela nous plaît de nous laisser porter par le hasard. Dans cette ville coloniale perchée en altitude sur un plateau de cactus, je ressens, une douceur de vivre teintée d’exotisme. Je me perds dans le cœur où les maisons colorées explosent d’énergie et déambule près d’églises aux lignes exubérantes. Les rues sont bordées de maisons seigneuriales aux mille couleurs. Je fais une halte près d’une roulotte de maïs au citron vert. Dans un bar chic, je jette quelques impressions sur une feuille vierge devant deux guitaristes qui répètent des morceaux langoureux. Nous créons à l’unisson, se guettant du coin de l’œil, sans en avoir l’air. La nuit, la gaîté intense n’a pas quitté les regards des habitants. Dans le kiosque d’un jardin, une fanfare s’éveille dans un vent de folie. Et malgré le froid perçant des montagnes, le public vibre à l’appel des trombones, saxophones et trompettes.

Le matin, il fait encore bien froid avant que le soleil ne fasse brillerles éclatantes luisances des riches bâtisses.J’emprunte des impasses fleuries qui serpentent sur les hauteurs. En chemin, je pénètre de somptueux palais où des arcades de pierres abritent des fontaines de faïences entourées d’orangers et de citronniers. J’écris dans le café d’un élégant théâtre style renaissance. En harmonie avec une musique flamenca à la guitare sèche, je précipite quelques mots. Je me demande où est passé Silvio. A force de vadrouiller, nous nous sommes perdus. J’espère voir surgir devant moi, mon jeune premier de comédie. Je me perds à nouveau dans ce labyrinthe de couleurs.  J’ai les pieds en feu. Je m’arrête dans une caravane et sirote un jus d’orange pressé. Je passe mon chemin. Toujours pas de Silvio. La cathédrale aux multiples pics et donjons comme le château d’un méchant roi, a allumé sa croix de strass. Je poursuis la route. La devanture d’une autre église en forme de coquille d’huître, est aussi éclairée d’une lumière cuivrée. Où est passé Silvio ? Je suis une trace musicale dans l’air pour retrouver mon prince charmant. Je rentre seule.

Le lendemain, nous filons au grand marché aux puces qui se tient tous les mardis. Un trio de musicien déambule de tables en tables. Un gros tambour avec des baguettes, deux guitares et flûtes péruviennes. La musique volubile me transporte dans un ravissement. Mes sens voyagent avec les tribus indigènes. Mes yeux fixent le joueur de tambour. Ses cheveux sont noirs comme la nuit, et longs jusqu’aux épaules. Son regard en amende me plonge dans un trouble indicible. Je confie à Silvio, qui est occupé à éviter les piments de ses tacos, que je voyage pour déceler, un brin de fantasme, un contour de rêve, la première rime d’une poésie. Nous déambulons en s’arrêtant ici et là pour grignoter et siroter des jus de fruits. Nous ne cessons de croiser les musiciens, qui eux aussi rient. Ils ont remarqué ma fascination pour le joueur de tambour. L’incarnation de l’ailleurs. Ce moment d’évasion ressemble à une promesse, un appel, une porte sur l’inconnu. Le marché ressemble à la ruée vers l’or. D’autres musiciens en sombreros et en costume de matadors chantent avec guitare ou accordéon des mélodrames langoureux. Baignée de musique, je m’arrête devant des femmes en ponchos qui ôtent les épines des feuilles de cactus à l’aide d’un couteau.

Au hasard de mes pas, je pénètre seule une église et me recueille dans un silence doré.   

A la sortie, la nuit est tombée. La lune claire se tient sur l’axe du clocher. Je retrouve Silvio sur la place de l’église devant la terrasse d’un café renommé. Un groupe traditionnel de guitaristes en costumes d’apparat, chantent des romances aux accords profonds pour une jeune femme aux grâces éperdues. Silvio me dit que ce sont des mariachis. Ils célèbrent l’amour. Lorsqu’un homme désire conquérir une femme, il fait venir les mariachis devant la porte de la belle, et lui déclare sa flamme. J’éclate de rire. Silvio me dévisage avec défi. » Oserais-tu ? » je dis, provocante. Le lendemain, dans un palais près d’une fontaine entourée d’orangers, nous créons ensemble. Pendant que j’écris, mon compagnon dessine des bijoux. De bruyants perroquets émeraudes percent cet éden de complaintes aiguës. Un guitariste solo fait vibrer ses cordes avec intensité. Les accords semblent jouer à la marelle, et nous inspirent. Nous sommes satisfaits du voyage artistique. La nuit vient. La plénitude musicale nous entraîne vers les hauteurs de la ville. Sur des fils, une multitude de lampions de fête, est suspendue comme du linge lumineux. C’est ma dernière soirée avec Silvio. J’attends en secret les mariachis.

Guadalajara

Un acrobate insolite

Sur le zocalo époustouflant, habillé de fontaines, théâtres et palais, je flâne, attirée par des spectacles de rue. Un acrobate brillant accompagné de djembés, danse tel un félin. Il s’élance dans les airs avec une rapidité qui laisse une forte impression. De l’autre bout de la place, il survole un escalier de ses acrobaties, prends appui en marchant sur un mur et dessine l’espace de ses incroyables prouesses. Puis, rejoint le sol en mouvement hip-hop. Une foule maintenant s’est rassemblée. Des cris s’élèvent dans les airs bleus. L’émotion est à son paroxysme, la peur et l’émerveillement ne peuvent se contenir dans le silence. L’homme-oiseau est beau de cette grâce dansante, avec laquelle il recrée le monde autour de lui. Le torse nu, souple comme un serpent, il dévoile un tatouage qui recouvre entièrement son bras gauche, comme la manche d’un vêtement. A l’entracte, il salue son public avec humilité, passe le chapeau dans les rangs bondés des marches. L’acrobate indigène entre à nouveau en scène mais cette fois avec des partenaires. En cercle, ils guettent ensemble, celui qui se jettera le premier dans l’arène. La nuit est tombée. Les lumières innombrables s’éveillent. Le spectacle s’achève. Je remercie ce merveilleux artiste qui nous offre des bouts d’étoiles, et quitte les lieux avec une impression de houle et de fascination. Je me dis que je reviendrai. Le lendemain, je me rends au marché, déjeuner dans le vacarme pimenté d’un dimanche pluvieux. Poivrons farcis avec haricots rouges. Je pense à ce bel acrobate dont l’émotion ne m’a pas quitté. Je fais un tour sur la place des Mariachis, qui semble désolée. Certains fredonnent des ballades ondulantes. D’autres jouent aux cartes sur des tables humides ou arpentent en costume de parade, la ruelle inondée. Une lune voilée brille sous les gouttes de pluie devant un clocher pointu. C’est d’une beauté mélancolique. Je rentre par le zocalo. Mon acrobate a disparu. Ne reste qu’une grande place vide et détrempée.

Guadalajara

Une voix inoubliable

Quelque chose me pousse vers un village des environs de Guadalajara. Tlaquepaque est une cité coloniale aux ruelles semées de galeries d’art. Le zocalo est bordé d’églises et les terrasses, peuplées de musiciens. Je pénètre une sorte de « caravansérail ». Des arcades abritent des cafés autour d’un kiosque musical. Une chanteuse à la voix formidable semble pleurer l’amour. Sur une scène ronde, elle tourne, ici et là, pour offrir son visage. Elle est vêtue d’une jupe noire brodée de fleurs et d’un châle aux longues franges. Ses cheveux roux sont coiffés en chignon garni d’œillets couleur cerise. Elle est entourée par des mariachis en costume de fanfare, un uniforme beige tressé d’or. Violons, accordéons, guitares et mandolines l’accompagnent. Ses mélodies sont alchimiques. Je suis émerveillée par cette voix de femme aux accents de douleur. Elle ressemble à une danseuse de Séville. Ses expressions tragiques se marient aux variations du chant. Comme une actrice, elle nous entraîne dans un voyage émotionnel et nous offre avec générosité une interprétation, qui nous tire des larmes. Sa bouleversante présence me captive. Ses notes finales qu’elle semble tenir si aisément, vibrent dans le vent. Elle n’est jamais à court d’air. Les minutes deviennent des éternités. Je suis émue au plus profond, transportée par l’essence même du chant, qui éveille l’âme, et ouvre la porte sur le rêve, impalpable et vibrant.

Patzcuaro

Comme une fresque

C’est une petite ville, plantée à plus de 2000 m d’altitude, sur les collines semées de pins qui surplombent un lac. Lorsque j’arrive ici, la journée est déjà bien entamée. Je sillonne la place entourée d’arbres centenaires et d’arcades, puis me perd dans le dédalle des impasses. Les maisons sont blanches aux toits de tuiles rouille. Dès la chute du soleil, le froid se fait vif. Ici et là, les indiens en lainages traditionnels vendent tacos, sculptures ou broderies. Dans les venelles, c’est un défilé de femmes aux longues tresses. Elles portent des jupes de gitanes, un panier à la main, ou un enfant enveloppé dans un poncho. Elles ont un air sauvage mêlé de fierté. Nous nous contemplons sans sourire, sans parler. Je rentre dans ma demeure pour une douce nuit. L’aube me cueille. Dans la maison folklorique où je loge, chez l’habitant, les femmes en costume traditionnel, sont déjà au salon, et s’adonnent à la broderie dans la fraîcheur matinale. Dans le hall, un autel est dressé, avec des croix de strass qui clignotent de lumière. Je sors à l’air. La ville encore endormie ressemble à un fantôme ourlé d’une fine couche de brouillard. Les brumes des montagnes verdâtres semblent se dissiper. Je pénètre une vaste basilique aux pierres épaisses où l’absence de lumière ressemble à la tristesse. Les visages peints ou sculptés prennent des airs figés. Devant la vierge, les indiens tarasques sont déjà en prière avec une profonde vénération. Des bougies brillent et recueillent les vœux. Sur le parvis, une belle Esméralda en costume local, vend des petits pains, décorés de graines, de sucre, ou de fruits séchés, dans de larges panières. Je ne peux quitter cette image des yeux, belle et inaccessible comme un papillon. Par une rue pavée, je rejoins le cimetière dont les couleurs phosphorescentes éclatent sous le soleil. Le silence, qui loin d’être morbide, m’apparaît joyeux. Ça et là, des maisonnettes anis, framboise ou outremer abritent les défunts. Au fond, des couronnes luisantes gisent à terre dans un charmant abandon. Je ne rencontre pas âme qui vive ! Juste un enfant sale, un vieux chien hagard, et un chat noir, tous trois tombés du ciel comme dans une légende. Après maints détours, je tombe sur le marché fort animé.

Des femmes indiennes, des panières sous le bras, tentent de me vendre tacos, sucreries, ou laitage. Leurs visages ressemblent à des parchemins et me racontent des histoires. Mes pas me conduisent au bord du lac où se dessine au loin la chaîne floue des montagnes. Des bateaux défilent. A leur passage, l’air vibre de notes d’accordéon. Les ombres opaques descendent du ciel. Je retourne sous les arcades, dans un café, faire un brin de poésie dans le vent. Je bois du thé jusqu’à la nuit et me laisse habiter.

Puebla

La ville en fête

Les façades enjouées des maisons maquillées de céramique, me font bonne impression. Je débouche sur une place adorable cerclée d’ateliers d’artistes. Une vaste terrasse m’attire par sa musique live. Jusqu’à la nuit, je noirci des pages, inspirée par une voix masculine qui chante de désespérantes romances. Percée par le froid, je pénètre au cœur d’un café à l’ambiance brûlante où se donne un concert latino. Ces chants populaires du Mexique sont un voyage insensé. Quelques couples dansent la salsa. A la fin de la nuit, je me jette aussi sur la piste et danse seule pour les musiciens. Je suis la dernière cliente. Le feu sacré me traverse. Le lendemain, dans une de ces nombreuses églises où angelots et chérubins tapissent les murs, une ambiance pieuse m’attire. De vieilles femmes fredonnent des cantiques a capela.

D’une voix maladive, elles offrent quelques fausses notes à la sainte mélodie. Cette prière a quelque chose d’étrange et de désespéré. La litanie est exigeante et mange presque les voix par le souffle qu’elle avale. Cet acharnement me bouleverse, d’être là, courbé, presque mort devant l’éternel. Ces femmes ressemblent à des portraits d’antan. Elles semblent renaître à elles-mêmes. Je m’installe dans cette fraîcheur de pierres et d’ombre et me laisse porter par le chant incertain. La grandeur chaotique de cette prière me perce le cœur. Cela me révèle la fragilité de l’existence. Peut être lorsque la mort se rapproche, se réconcilie-t-on avec Dieu ?

Dehors l’agitation bat son plein. Toute la ville flâne autour des puces, sur les places habitées de clowns, sur les parvis transformés en bal. À quelques pâtés de maison, ont lieu les danses traditionnelles pour le carnaval de la semaine sainte. Une musique de cirque ponctue les allées et venues des danseurs masqués. Leur longue cape de paillettes ainsi que leur feutre surmonté d’un bouquet de plumes, dansent à chaque mouvement. A intervalle régulier, la ronde géante se défait pour que naissent de plus petits cercles où des rubans de couleurs volent. Autour du bal, une parade de monstres répugnants vêtus des couleurs diaboliques, s’efforcent de maintenir l’ordre. Ils pirouettent dans l’espace ou se ruent vers le public.

Tranquillement adossée à un lampadaire, je me fais surprendre par une étrange créature, mi-homme mi-loup, qui m’embrasse tendrement. Lorsque, ce visage recouvert de poils m’apparaît, je ne peux m’empêcher de pousser un cri. Pendant le bal, les démons se mêlent aux humaines et pimentent de leur démence, le carnaval populaire. La rupture qui sépare les deux mondes, celui noble et raffiné des danseurs qui tournoient comme des toupies de strass, et celui loufoque des bêtes fantastiques qui excitent le public, m’apparaît poétique.

Je retrouve Miguel Angel rencontré quelques heures auparavant dans un café. Nous partons en virée à Cholula, admirer de nuit la célèbre pyramide au sommet de laquelle s’érige une église néoclassique. À bord d’une belle voiture, nous filons sur un rythme de salsa. Miguel Angel me raconte la légende qui dit que du sommet de la colline, on peut deviner 365 églises qui se cachent dans la vallée lointaine. Nous gravissons les escaliers de pierres. Autour de nous, il n’y a que le vent, la mélodie du silence, et l’harmonie dans le chaos des lumières, qui brillent dans la nuit. Nous sommes seuls. Nous prenons un verre dans un bar où un chanteur solo met le feu aux poudres.

Dans le vacarme, mon nouvel ami me confie qu’il est heureux de me connaître. C’est le signe pour lui qu’il se sent plus à même de s’ouvrir aux rencontres et à l’imprévu. Comme moi, Miguel Angel ne croit pas au hasard. Il me lance que la vie est un songe. Nous finissons la soirée dans un rad populaire où une machine à musique diffuse des tubes dans la fumée de cigarettes et de tacos.  Les derniers clients se bousculent au bar gluant de tequila et jouent aux cartes pour quelques pesos dans les vapeurs d’alcool. Pendant qu’un serveur passe la serpillière sur le sol noir, je danse sous le regard amusé de Miguel Angel que ma folie ravit. La vie est un songe, me murmure-t-il devant la porte de chez moi. En montant l’escalier quatre à quatre, je me demande qui est-ce qui a bien pu m’envoyer cet ange là !

Yalcomulco

Un couple décapant

Je suis dans un village charmant au large fleuve qui descend des montagnes. Je me retrouve seule à écouter la mélodie du courant, le regard accroché sur d’infinies hauteurs brumeuses. Sur les berges devant un pont suspendu, un restaurant à la vue panoramique. Je fais halte à l’ombre pour déjeuner. Face à moi, un couple commande bières sur bières et s’embrasse érotiquement. Avec l’euphorie de l’amour neuf, ils semblent vivre intensément chaque instant sans la moindre retenu. De temps à autres, ils me regardent puis s’esclaffent entre gorgées de bière et tortillas pimentées. Ils m’invitent à leur table. Ils sont jeunes, gargantuesques et déchaînés. La femme est maquillée comme un camion, de gros pâtés mauves sur les paupières, ce qui donne à son regard cerné un éclat passionnel. Ses cheveux sont teints en violet. L’homme porte une chemise blanche ouverte exhibant chaînes massives et gris-gris ainsi que quelques cicatrices. Il mange goulûment activant sa langue, ses doigts, ses dents, et boit d’une traite avec une animalité à laquelle sa belle ne peut résister. Ils s’embrassent éperdument, confondant ainsi toutes les nourritures. Arrivent les plateaux de crustacés. Mes amants terribles continuent leur cirque érotique, la bouche en sauce, en feu et en haleine. L’homme fait des blagues graveleuses. Leur rire vulgaire ainsi que leur complicité charnelle m’amusent. Je deviens leur public au spectacle de la démence. La femme me fait entendre qu’elle est folle amoureuse. Aujourd’hui, ils fêtent leur un an. Je les regarde vivre. La réalité est invraisemblable.  Si un acteur jouait la partition de l’homme au cinéma, avec la même exubérance, on lui demanderait de gommer, de purifier son jeu. Quand ça devient trop, je m’éclipse comme une voleuse promettant de revenir, ce que je ne fais pas. Je m’en excuse sincèrement. Le bus qui balance à travers la campagne fait de la salsa.

Oaxaca

Un marché indien

Je marche jusqu’à la gare routière de Oaxaca pour rejoindre le marché indien du mercredi du village de Pablo Elba. Je saute dans un bus. Le long de ruelles pavées qui entourent une ravissante église se tient le marché vivant et coloré. Des femmes indiennes vêtues de broderie et de tressages, leurs enfants noués dans le dos, vendent toutes sortes de nourritures. Je contemple les femmes aux visages tannés de soleil dont les expressions paisibles indiquent fierté et respect. Devant elles, sont disposées des piles de tortillas ou de tacos enveloppés dans des serviettes de coton blanc. Ça et là, de gigantesques panières sont posées sur des marches, et exhibent une profusion de pains aux formes et couleurs insensées.

Quelques touches de confiture, de fruits secs ou de chocolat disposées sur les petites œuvres de farine donnent l’illusion d’un monde de légende devenu réalité. Il ne manque plus qu’une maison de sucre de conte pour enfants. Maintenant je déambule entre des paniers pleins à craquer de piments rouges et noirs à la taille démesurée. Je compose mes propres tacos. Je suis attirée par une indienne vêtue de couleurs aquatiques, qui sirote un jus de cactée de la même teinte. Son visage noble est une fenêtre sur le lointain. Son regard profond comme distancié est à la porte d’un rêve. Elle tient dans ses bras un enfant. Cette image me révèle impression indéfinissable. Je l’observe comme une œuvre d’art. Se grave dans ma mémoire un cliché esthétique. L’étrange est un sonnet, l’ailleurs une ode.

San Cristobal de las Casas

Images de l’ailleurs

Les ruelles sont étroites, les maisons basses, et le vent froid. Nous sommes dans les montagnes. La cité espagnole recèle de charmes indicibles. Des drapeaux de plastiques colorés flottent aux portes des églises. Les indiens maya éclairent les rues d’un folklore authentique. J’ai des frissons. Fascinée, je pénètre une légende. Mes pas me conduisent au grand marché, peuplé d’indigènes descendus des montagnes. Je les regarde comme un poisson le ciel. Les hommes portent des vestes rayées aux couleurs arc en ciel à fil d’or et des chapeaux de bandas. Les regards sont profonds et sévères. Les femmes sont vêtues de châles tressés, de tuniques brodées de fleurs, de lainages à pompons.  Des tresses noires ornées de rubans et de rajouts de laine, flottent ici et là parmi la foule aux costumes multicolores. Au dos, des enfants enveloppés dans des ponchos sombres. Devant elles, des fruits sont joliment disposés dans des panières, comme les pâtisseries aux mille teintes, décorées de sucre et de bonbons. Je voyage dans le temps. Plus loin sur le parvis d’une fameuse église, se tient un marché artisanal où sont exposées les créations et textiles indigènes. Des petites filles aux chevelures sauvages me suivent en riant, vêtues des mêmes broderies étincelantes, puis aident leur mère derrière les étales.  Elles portent aussi de longues tresses aux rubans de satin qui s’achèvent par des pompons. Un souffle de bonheur me traverse la poitrine. Je pénètre une église. Le vieux plancher craque sous mes pieds. Des milliers de bougies brûlent dans des verres peints posés sur de vastes chandeliers en fer forgé. Partout des fleurs près des lumières. Un indien à genoux prononce des litanies comme un mantra devant un christ grandeur nature qui dort dans un sarcophage de plastique. Des femmes cachées sous de chaudes couvertures se tiennent debout face aux offrandes et répètent à l’infini des sons enivrants. La répétition devient illumination. Je prends place dans le froid et m’ouvre à ce syncrétisme religieux. Des chants étranges me portent vers les nuées.

Zinacantan

Une offrande maya

Je me rends à Zinacantan, village voisin de San Juan de Chamula. Dans la petite chapelle d’une l’église, une chorale de femmes est assise. Toutes portent des châles azures aux touches émeraudes et chantent en langue lointaine. Sur la place, des petites filles en costume jouent au ballon avec férocité malgré leur tenue de sirène. Je descends un chemin de terre et je m’arrête près d’une case artisanale en terre battue qui expose d’anciens costumes folkloriques. À terre, une vieille femme cuit des tortillas de maïs au feu de bois. Elle pose la boule de farine dans un pressoir, puis les étale sur une plaque. Une jeune fille vient à moi. Elle s’appelle Lucia. Elle m’offre quelques tacots au sel. Le pain chaud est offert avec générosité.

« Une offrande bénie par les ancêtres » me dit-elle. Je reçois ce cadeau comme un signe de protection. Elle me dit qu’elle vient de l’ethnie maya. Pendant que je mange, elle reprend sa broderie. Elle est douce comme une fleur et semble imprégnée de sagesse malgré son jeune âge. Elle est d’une sensualité de tableau. Il lui plaît d’associer les choses, de superposer les cultures, me dit-elle avec quiétude. Perpétrer les traditions mayas mais aussi apprendre de nouvelles choses. En guise de reconnaissance, j’offre à Lucia, un bracelet. Elle ne s’y attendait pas. Je lui souhaite bonne chance. Elle me dit de toujours rester en harmonie avec l’univers et d’écouter, comme les mayas, les messages du soleil et la lune. Mon âme semble se souvenir de quelque chose.

Lagos de Montobello

Réflexions

Le Chiapas est une région extraordinaire. Proche de la frontière avec le Guatemala, un nombre incalculable de lagunes loge dans les vallées. Je m’aventure sur cette route inspirante. Le lac « Esmeraldas » recèle une eau turquoise, d’une clarté irréelle. Le lac « Enchanté », quant à lui semble plus sauvage, cerclé de vaporeuses montagnes. Au loin, il se transforme en rivière vers une destination fantomatique que je n’aurai pas la chance de découvrir aujourd’hui. Face à la brume fraîche, je rêve à l’inconnu. De floues promesses me caressent comme les nuages. Qu’à donc l’inconnu de plus énigmatique que les terres que l’on foule ? Sans doute nourrit de quelques rêves en prime, habillé de la part de fantasmes qui resteront en suspens.  Mais il faut toujours une dose d’inaccessible pour réaliser de grands rêves. Ceux qui planent dans les nues, sont un escalier pour ceux qui se réalisent. Il faut parfois vider un peu la coupe, laisser la place pour d’autres rêves. C’est pour cela que certains s’incarnent. Les nappes nuageuses englobent l’horizon. Un autre lac encore. Celui là possède un îlot sacré au milieu comme une terre vierge et semble abriter un temple ou un esprit. Le smog épais qui auréole les reliefs au loin me rappelle les peintures de la vieille Chine. C’est étrange comme les choses se correspondent. Ici, des radeaux de troncs d’arbres assemblés, traversent le lac. Il faut jouer des pieds pour ne pas prendre l’eau. Et ramer jusqu’à la « terre promise ». L’île est minuscule, délicate aux reflets pétrole. Orchidées et Colibris ont l’air de s’accorder. Je regagne la camionnette qui suit le soleil couchant comme une course poursuite. La boule rougeâtre qui inonde l’espace d’un rose profond est sur le point de disparaître derrière de hautes rocailles. La camionnette file, rattrape le soleil mais celui-ci disparaît dans le gouffre du monde pour ne laisser derrière lui qu’une énigmatique fumée noirâtre sur des poudres d’orange. Je ferai le tour du monde.

Yucatan

Le mystère des vestiges

La route Puuc m’attire irrésistiblement. Je visite Uxmal, la cité maya de la période dite classique. Une perfection artistique s’en dégage. Les yeux au ciel, je me sens submergée par les frises sur les édifices. Des masques de Chaac, le dieu de la pluie, ornent les constructions. Je pénètre un palais royal autour d’une vaste cour. Je m’assois sur des marches innombrables. Ici et là, se faufilent de gros iguanes qui se confondent aux herbes jaunes. À l’heure chaude, je suis seule. Un silence se soulève sur le passé. Ici, se donnaient jadis des spectacles de danse et de théâtre. C’est d’une beauté extraordinaire. J’escalade la grande pyramide décorée de frises d’oiseaux et de multiples visages du Dieu. La vue sur la cité sacrée entourée de forêt boisée est un songe. Un autre jour, je me rends à Labna où dorment d’autres vestiges.

Au petit jour, j’arrive sur le site. À cette heure, il est vide. Son caractère isolé dégage un charme romantique. Le palais se dessine perdu dans la forêt. Il ressemble à une maison basse. Un oranger se tient là, vieux comme le monde. Je me fraye un chemin entre les fruits pour atteindre les marches royales. À l’arrière, se trouve une maisonnette de pierres habitée d’oiseaux bleus et de vieux iguanes. Un serpent ondule sur la pierre. Un vieil arbre agrippe une maison de légendes. Ses branches desséchées ressemblent à des tentacules. Sur un tronc mort, un iguane immobile exhibe sa crête noire mouchetée de jaune avec une fierté extravagante. Plus loin, une arche richement décorée semble ouvrir la voie à la forêt secrète.

Je reste interdite. Le lendemain, je rallie Tulum sur la côte Caraïbes, qui recèle de ruines magiques. J’atterri sur une plage de sable blanc semée de cocotiers. Un vent fou agite les palmes et soulève le sable. Une case circulaire dévastée par une tornade abrite des hamacs. Sur la baie verte, un paquet d’étoiles semble avoir dégringolé de la voûte céleste. J’écoute le chant du vent balayer l’océan et faire grincer les feuilles de palmes. Je m’éveille à l’aube. Le sable blanc brille déjà de milliers de reflets. La mer couleur ciel est éclatante comme un rêve. Des cocotiers ici et là décoiffés par les rafales achèvent la toile. Doucement monte le soleil pour irradier de blancheur l’éblouissante, la mer des Caraïbes. Moi, je ne fais pas partie de la carte postale, car je suis dans un état terrible. Je me demande ce qui m’a conduit ici. Je jette quelques mots sur mon cahier qui manque de s’envoler avant que la tornade incessante ne m’essore la tête. A cet instant, je sens deux mains se poser sur mes épaules. Je me retourne surprise. Qui vois-je devant moi ? C’est à peine croyable ? Lukas ! Mais comment est-ce possible ? Nos directions divergeaient et voilà que nos routes se croisent à nouveau.

  • « Mais Lukas, je ne devais pas être ici ! ».
  • « Moi non plus ! C’est tout un concours de circonstances ».
  • « Tu te souviens, tu m’as dit que si nous nous retrouvons, ce sera le destin ».
  • « Oui, mais que cela signifie-t-il ? »
  • « Moi, je n’arrive pas à déchiffrer les signes ! ».

Lukas est fidèle à lui-même, beau, serein, insouciant. On se raconte avec joie nos derniers jours. La plage est blanchâtre et fascinante. Nous déambulons le long de la grève turquoise.

  • « Lukas, avec toi, tout est toujours parfait ! » dis-je ironique.
  • « Je sais » me répond-il en riant.

Nous marchons vers les ruines mayas sur une falaise qui domine la mer translucide. La cité est étonnante d’élégance. Le temple le plus haut a l’air de plonger dans l’azur. Ici et là reposent les temples avec colonnes et fresques aux patines noirâtres rincées par les vents. Nous pénétrons le « temple du Dieu du vent ». Nos âmes se perdent au large. Je prends Lukas en photo, regard lointain, cheveux au vent comme une gravure de mode. Nous descendons sur une plage sauvage. Le crépuscule s’achève. Une bande de hippies mexicains frappent de gros tambours. Un chant tribal surgit avec quelques percussions. Une jolie fille aux tresses ébène crie dans le vent : « Nous sommes les poètes de la route ». Cette phrase est répétée par les saltimbanques de la nuit. Lorsque la fête s’achève, nous regagnons par la plage pâle, baignée d’une pluie d’étoiles. La paillote désolée est ouverte aux quatre vents. Au petit matin, l’eau cristalline verdit le monde. Je retrouve Lukas devant notre gîte décrépi, qui contemple la mer en fumant une cigarette. À part des grains de sable sur les cheveux et sur la peau, la tornade nocturne ne l’a pas empêché de dormir.  Nous lézardons à l’ombre des palmes.

Je demande à Lukas, comme un jeu :

  • « Lukas, as-tu trouvé pourquoi nous nous sommes croisés à nouveau ? ».
  • « Nous vivions peut-être sur cette falaise dans une vie antérieure. Il fallait boucler une boucle », lance-il, avec sérieux.
  •  « Ou simplement pour se souhaiter bonne route ! » dis-je en lui annonçant mon départ. Nous éclatons de rire.

A l’aube, je déambule à Cobà, une autre cité maya perdue dans la jungle. À travers un chemin de pierres blanches, apparaissent ici et là, noyés dans la forêt épaisse, les pyramides anthracites et les temples en ruine. Je gravis de hautes marches qui surplombent l’horizon. Une atmosphère sauvage m’envahit à l’image des vestiges. Je suis happée par l’étrange mélodie de la jungle. Ses murmures profonds ressemblent à une partition. Il me semble que chaque personne ici devient un petit soleil du grand cosmos. C’est ce que je retiens du Mexique. Terre sacrée, où chaque mouvement est dicté par les ailes invisibles du grand serpent à plumes, où rituels et musiques se marient à l’étrange. Je pars ce soir, l’âme mise à nue.

Playa del Carmen

Sriram Ganesan, une divinité indoue 

Sriram vient du Kerala et vit à New York. Il est jeune, d’une beauté étincelante, d’un magnétisme divin. Il est acteur et danseur de comédie musicale, spécialisé dans le style « Bollywood ». En transit quelques jours dans ce lieu de fêtes et de plaisirs, il se ressource pour le stage qu’il va donner dans une académie de danse à Campeche, de l’autre côté du Yucatan. Il a été appelé car il est un maître dans cette discipline, si admirable et exaltante.

Nous nous rencontrons lors de mon arrivée sur une terrasse dans la rue principale.C’est l’heure méridienne, le soleil tape fort.  Je suis déphasée, la chaleur de plomb me brise les ailes, l’éclatante luminosité m’aveugle, et pour moi, la nuit fut blanche.

Sriram vient à moi avec la fluidité des artistes, avec l’évidence des voyageurs.Il me confie simplement que mon énergie l’attire. Mon aura lui est familière. Nous appartenons au même monde, dit-t-il.

Son sourire est limpide comme le jour, ses lèvres brunes se fendent sur de jolies dents brillantes comme de neige. Il devine qui je suis, j’en suis si touchée que je ne trouve les mots à répliquer. Je le contemple, intriguée. Puis nous nous séparons. Je quitte alors mon charmant danseur. Je sens en moi monter le besoin de solitude et d’abandon, de réparer les plaies de mon âme avant de recevoir l’écriture comme un éclaire, une traversée d’étoiles, du ciel à la terre.

Des heures durant, je marche, les pieds nus, sur le sable brûlant. Le vent semble balayer mon corps des soucis citadins, des lointaines blessures qui ressurgissent comme les roches de la marée mourante. Ma carapace se craquèle, mes écailles s’effritent et il me semble que mon passé tombe à terre comme une poussière crasseuse.

Je ne sens pas encore le bonheur mais je le sais tout proche, une lumière au bout de l’horizon qui clignote pour moi.

Eprise d’ombre, sous un palmier, je me pose et fixe l’horizon infini.

Soudain, comme par enchantement, mon bel artiste apparaît devant moi. Il sort de l’eau, la peau satinée encore plein d’écumes. Il porte comme un symbole sacré, un soleil géant tatoué dans le dos. Par des acrobaties, il se rapproche de moi. L’heure tourne. On se raconte.

Il me parle de l’Inde du Sud où il a grandi, de la religion hindouiste qui a bercé son enfance, et de sa vie présente, en tournée, dans les plus grands théâtres des Etats-Unis. Il s’exprime avec clarté et foi, je ressens son exaltation pour la vie ainsi que la passion inaltérable qui l’anime. Je le contemple interdite, comme une sculpture vivante, l’incarnation d’une divinité. D’ailleurs, il porte deux Dieux dans son nom, Ram et Ganesh.Il éclate de rire en me confiant cela.

Le temps défile d’une délicieuse intensité. La mer des caraïbes semble s’étaler autour de nous comme un théâtre antique. Nous nous enfonçons dans l’eau turquoise qui nous enveloppe de sa voluptueuse caresse. Des confidences naissent au rythme des vagues. Nous parlons de rencontres improbables, de vibrations, de destinée.

Je me noie dans son regard obscur et lui me questionne, fasciné par ma drôle de vie. Nous longeons la grève comme des amis éternels. Lentement le ciel tourne au rose, les nuages deviennent pourpres, et le vent anime nos regards éclairés. Une bulle invisible semble descendre des nuées pour nous embraser. Nous déambulons encore le long du ciel qui fait glisser quelques étoiles. Il nous semble que nous nous connaissons déjà. J’éclate de rire. Je confie à Sriram que je viens de recevoir une bénédiction indienne, le « deeksha », une énergie divine qui se transmet par imposition des mains et qui ouvre à la conscience et l’amour pur. Cela l’étonne. Mais ce qui me surprend bien d’avantage encore est de le rencontrer dans la foulée. Je lui parle du Reiki, une énergie de l’univers qui apaise le corps et l’âme. Il ne connaît pas, se laisse tenter. Sur le sable, il s’allonge et s’abandonne. Mes mains, traversées par d’insondables fluides, dansent ici et là sur ses chakras. L’offrir est aussi un rituel tout comme le recevoir. J’entre en silence, l’air autour de nous frémit, le jour tranquille tourne à l’oranger. Un frisson pique mon âme. Ce tableau n’est qu’amour comme si les éléments étaient en émois. Je me sens sereine comme une île déserte. Sriram semble voyager au-delà des mondes. Ses yeux clos racontent les mystères de l’existence, sa peau me narre une sensuelle poésie. Je suis en joie. Doucement, il revient à lui, me confie qu’il se sent lavé de toutes les pollutions, caressé par une forte sensation de bien être. Nos cœurs semblent flotter comme des feuilles de palmes. Mais déjà la nuit vient, le vent s’anime, la plage allume ses lampions. Quelques Mariachis font sonner de langoureux accords. Le sable est frais face aux étoiles naissantes. Au loin, les notes d’un concert latino bercent notre méditation. Des bâtons de feu s’agitent dans les airs, animés par quelques danseurs. Une nouvelle densité nous parcourt par ce silence que nous gardons. Le temps s’enivre. La plage se vide avec l’obscurité. Nous prenons un verre. Nous ne nous quittons plus des yeux, aimantés par des forces cosmiques qui dirigent le cours de nos vies. Après un grand silence, Sriram m’avoue qu’il aurait tant aimé voyager avec moi, mais qu’il doit s’en aller demain où la danse l’appelle. Mon âme brille dans ma poitrine. Nous dînons en ville, dans un coin caché, à l’abri des foules, le cœur en charité. Une belle aventure nous attendra un jour, peut être….

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