GUATEMALA
Flores
Mes petites sœurs
Dans le bus pour le Guatemala, je retrouve deux charmantes fleurs de 20 ans, Natania et Shauna, croisées dans une cabane déglinguée sur la plage de Tulum. Elles rient comme on respire. Elles voyagent pour vivre des expériences spirituelles. Deux magnifiques personnes à l’âme cristalline. Leur présence est légère comme des bulles de savon. A Florès, nous atterrissons dans un lieu alternatif. Dans le jardin, des hamacs dorment entre les arbres. La musique respire l’atmosphère zen. Épuisées, nous nous écroulons face à un coin de ciel d’où s’échappent des bouts d’étoiles. Le matin, sous la brûlure de midi, je sillonne les ruelles aux maisons colorées de la petite île de Flores. Shauna m’entraîne au bord du lac dans un café sur pilotis. Natania, installée comme une reine, fume langoureuse un narguilé aux parfums d’ambre. Une fanfare de rires s’éveille. Nous savourons le paysage. Le lac cerclé de petits monts, caressé par quelques douces vaguelettes, est un enchantement. Une explosion de rouge a lieu dans le ciel. Un lion rose se dessine entre deux nuages couleur curry. Ce sont mes petites princesses qui le remarquent et s’écrient : « Il y a un lion dans le ciel, un lion bubble gum ». Le fauve de feu disparaît dans le gouffre de la terre. À la nuit tombée, nous rentrons à la maison. Nous dînons dans un jardin de branches et de feuilles exotiques éclairés à la bougie. Natania me raconte qu’elle a des prédispositions mystiques. Elle est pâle comme l’aube et porte de longs cheveux bruns qui bouclent légèrement aux pointes. Elle est assise en lotus et délecte ici et là de sa langue rose les restes de fruits au fond de son cocktail. Elle parle avec calme lorsqu’elle n’éclate pas de rire, les yeux brillants traversés de joie et de douceur. La sagesse de ses 20 ans est impressionnante. Je vois une vieille âme tranquille. Natania me confie, que l’univers est puissant et qu’il accorde tout ce qui est désiré avec cœur. Elle m’invite comme une magicienne venue d’un autre monde, à faire une vraie demande. Sa parole est enracinée comme un arbre et il m’apparaît que ce petit bout de femme a quelque chose d’une guide spirituel. Shauna réapparaît, féminine comme une figure de manga. Elle me prie de raconter ma vie. Mes récits deviennent des rêves pour jeunes filles. Quand le vient sommeil, nous nous installons dans nos hamacs que le vent lentement fait danser, sous le cri de perroquets. L’aube nous cueille. Sur les bords de l’eau, le vent fait chanter les bois des pilotis. En face, le petit îlot intrigant, étincelle de soleil. Il baigne ses vertes feuilles de bananiers et de palmiers. Natania et Shauna me rejoignent. Sur les berges, nous faisons la connaissance de Pedro, qui nous invite à bord de son bateau à moteur bleu et mauve. À l’ombre d’un toit de planches nous prenons place pour une virée le long des îles. L’eau translucide pétille sous la chaleur. Sur les berges du lac défilent comme un décor, des petites plages, des cabanes de palmes, des chemins que des enfants empruntent. Une douceur tropicale m’enivre. Natania s’allonge sur le bord du bateau, le corps à demi suspendu dans le vide. Elle se mue avec souplesse comme une sirène. Ses jambes et ses bras trempent dans l’azur. Puis, elle se place en proue comme la déesse du vent. Ses ondulations sont un langage des mers. Elle marie ses chants à l’étendue anis. En silence, nous voyageons vers les rives d’autres îles, traversées de ponts flottants ou d’oiseaux marins. Sur des grèves de pierres, quelques tortues échouées tentent de regagner le large. Pedro nous raconte que le dimanche, il va à la pêche de poissons blancs. Je le surprends à regarder mes petites sœurs avec admiration. Elles sont devenues hystériques à la vue des crocodiles. De retour, nous prenons un verre sur un ponton flottant. Les guirlandes s’éveillent à mesure que descend un ciel corail. Les filles papillonnent au cœur de récits d’enfance. À la nuit, nous nous étendons au fond de nos hamacs dans le petit froid d’une demi-lune. La nuit suspendue entre deux arbres m’évoque la liberté. Quand le ciel vire au noir, se lèvent quelques étoiles filantes.
Le lac Atitlan
Les bougies de madame Rosa
Dans un grand bus décoré comme pour un carnaval, je descends des montagnes. Les costumes des passagers sont à l’image du joyeux transport. Le lac Atitlan est entouré de gigantesques volcans dont les cimes restent embrumées. Le périple débute à Panajachel, un des nombreux villages indiens des berges. Deux volcans s’érigent des rives comme des monstres noirâtres et fascinants. L’eau platine les teintes d’une couleur froide. Une touche d’une abstraction spirituelle. Je plonge dans ce paysage énigmatique et en oublie le tourbillon incessant de l’animation des rues. Je trouve à me loger dans une posada familiale et son patio noyé de verdure. Mme Rosa m’accueille avec chaleur. Elle est ronde comme une pastèque et pleine de couleurs à l’image de son rire aux dents d’or. Je m’installe à peine comme à mon habitude, et saute dans un pick up pour découvrir un village plus authentique du lac, San Antonio. À l’arrière de la camionnette, les costumes imprimés de broderies fleuries, des femmes indiennes, semblent le fruit de mon imagination. Quelques sourires s’amorcent et dévoilent des dents d’or ou d’argent. Nous sommes secouées comme des bestiaux sur une route qui serpente. Le véhicule s’arrête devant une église immaculée qui surplombe les eaux anthracites. Je gravis les escaliers à flanc de falaise vers le village. Des hauteurs, le lac Atitlan m’apparaît comme une gigantesque fresque. Face aux volcans, je m’imprègne. Des femmes vêtues de mauve aux broderies fines avec des bandeaux pailletés et ornés de pompons, posent comme des modèles, le regard lointain. Le tableau est inouï. Des petites filles vêtues comme des poupées folkloriques ont le courage de me saluer, puis effrayées s’enfuient derrière un jardin. Malicieuses, elles réapparaissent en pouffant. Sur mon chemin, se trouve Maria, une fillette, qui m’invite dans une cour perchée au-dessus du vide. Elle m’explique que ce jardin est une fabrique. Des femmes assises à terre pèlent des oignons frais.
Des femmes en costume bleu épluchent des bottes d’oignons disposées devant elles, destinés à être vendus dans les villages indigènes. Je descends vers le lac devenu sombre. Il reflète la noirceur volcanique. La lumière dégringole et annonce la pluie. J’attrape au vol une camionnette. J’arrive juste à temps, avant qu’éclate un gros orage qui inonde les rues. La maison de Mme Rosa est devenue une piscine. L’électricité a sauté. Mme Rosa m’apporte des bougies pour éclairer ma cellule. Le lendemain, je me promène à San Catarina, également au bord du lac. Sur les berges, quelques cabanes sur pilotis offrent une vue époustouflante sur les volcans qu’une brume teinte de poudre d’argent. A l’instar de San Antonio, le village est construit sur les hauteurs et se gravit étages par étages entre maisonnettes de bois, plantations, et jardinets. Je fais la connaissance d’Albertine qui travaille sur un métier à tisser, attaché à la taille et tendu à un tronc d’arbre. Je la contemple à l’œuvre. Avec une dextérité étonnante, elle assemble à l’aide d’un bâton, les fils de couleur qui feront de ravissants motifs sur le tissage. Albertine est rieuse et bavarde. Elle porte deux étoiles d’or sur les dents de devant. Une coquetterie en vogue ici. Elle m’invite à m’asseoir sur le pas de sa porte. Le ciel devient lourd. Un bus fait halte devant chez elle. Je le prends au passage. A l’arrivée un orage éclate.
L’eau se déverse des toits et inonde le monde. Je retourne chez Mme Rosa, qui m’offre de nouvelles bougies pour parer à ma solitude. Je m’écroule de froid en proie à une petite mélancolie.
San Pedro
Procession de la Semaine Sainte
Le village de San Pedro est en fête. Toutes les populations du lac sont descendues des montagnes pour la semaine sainte. Sur les rives, pullulent des cafés « new âge » où des hippies alanguies reposent sur des tapis de coussins. Ça sent l’herbe et la transe. Je dîne des tortillas grillées dans la rue, puis remonte les pavés vers le village traditionnel. Les arches sont couvertes de fausses plantes desquelles tombent des fruits, symbole d’une offrande religieuse. Il fait nuit. Une foule se tient prête, de chaque côté d’une longue rue qui s’achemine vers une église. Sur le pavé, des enfants activent une roue de bois. Un bruit de crécelle annonce la parade. Au bout de la rue, surgit un char surmonté d’une croix, éclairé de néons et porté par des femmes en voilettes de dentelles. Elles déambulent d’une lenteur théâtrale en prenant appui d’un pied sur l’autre. Certaines, le regard au ciel, sont des illustrations des peintures de la vierge. Suit un autre char, sur lequel une statue de Marie en manteau brodé d’or, semble vouloir se jeter dans le vide. Derrière, défile la fanfare qui joue la douleur mystique.
Trompettes, saxophones et cymbales résonnent en écho au cortège qui finit par donner le tournis. S’avance un autre char encore, porté cette fois par des hommes en uniforme, sur lequel se tient un décor en carton-pâte du chemin de croix. En escorte, un chœur de femmes, chantent des plaintes. Je m’avance vers l’orchestre qui me transporte dans un monde onirique. Quand je n’y tiens plus, je dévale la colline, et me réfugie dans un bar. A l’aube, le bateau file sur le lac. Le long des berges, quelques pêcheurs à bord de pirogues retirent des filets. Le temps est couvert et sous les volutes blanches, les volcans font peur. Lorsque le soleil voilé se fond sur les eaux bleues-marines, je voyage sur les rives. Des femmes sein-nus se lavent dans l’eau trouble après avoir fait leur lessive. Il y a un îlot minuscule qui abrite une seule cabane entourée de pirogues. Une ligne verticale se marie aux cimes des volcans.
L’opacité argentée recouvre le paysage d’une pointe d’intrigue. Face au jour qui s’endort, je me sens soudain très seule.