Les mariés d’Asie

Les péripéties d’une quête magique de mariage

Extrait de La fiancée du bout du monde

Nos noces vagabondes

Cambodge

Sihanoukville. Romance nuptiale

Nous arrivons à Sihanoukville à la nuit. Nous découvrons la plage obscure sous le vent marin, éclairée de lampions et de bougies. Nous nous installons au bord de l’eau pour dîner de barracudas fraîchement pêchés et grillés. Demain nous serons le 3 novembre. Demain nous nous marierons.

À l’aube claire, nous faisons la connaissance de Kim, un chauffeur de mototaxi. Nous montons à trois sur la moto, serrés comme des sardines. Kim nous conduit vers la magnifique pagode pour un rituel d’union bouddhique. Elle s’érige sur les hauteurs et embrase terre et mer dans un poudroiement de blancheur de cristal. Dans le jardin de la pagode d’or trône un magnifique Bouddha couché, aux yeux clos et au sourire illuminé. Il restera à jamais le témoin de nos noces improvisées. Un moine vient à nous. Il se prénomme Sorya, dont le nom signifie « lumière de soleil ». Son visage est doux et son air recueilli. Nous le prions de nous prodiguer une bénédiction de mariage. Le moine nous contemple quelques instants, dans le silence mystique de l’aube. Son regard de sagesse reflète une infinie splendeur. Face au moine, Bastien et moi nous installons à genoux sur la dalle froide, sous l’effigie d’or de la divinité asiatique. Nous allumons un grand bouquet d’encens que nous déposons face à l’autel. Une fumée parfumée danse sous l’air chaud comme un serpent blanc et vénéré. Le temps s’arrête et devient éternel. Le moine entonne une liturgie bouddhique, comme un chant délicat aux sonorités bienfaisantes. Nous restons immobiles, les yeux fermés, sous la caresse des mantras. Un rire intérieur s’agite dans ma poitrine. À la dérobée, je jette un œil à mon époux, qui semble plus absorbé que moi par le rituel sacré de notre union. Il est d’une beauté sensuelle inouïe, dans l’écoute des prières. Comme lui, je ferme les yeux et m’abandonne. Quand la psalmodie s’éteint comme une note de musique, nous ouvrons les yeux. Il me semble revenir d’un voyage profond, d’un rêve évanescent. Le moine se tient là, tranquille. Son regard pénétrant semble flotter sur le mystère du monde et nous inonde de son éclat spirituel. Nous nous levons avec une lenteur toute orientale, et faisons une offrande d’argent, en nous inclinant en signe de respect. Le moine nous remercie humblement et nous souhaite bonne chance. Une émotion me perce le cœur comme une flèche. Nous sommes unis dans l’invisible et dans la transparence de l’ombre. Bastien m’enlace en éclatant de rire. Nous déambulons à l’azimut sur la grande terrasse ensoleillée de la pagode, peuplée de dieux hindous, barbouillés de couleurs insensées. Une émotion fragile mêle silence et rires. Selon les lois du Cosmos et les traditions asiatiques, nous sommes mariés !

Près de la mer, nous déjeunons chez Roméo, d’un festin de crevettes et de poissons grillés, dans la douceur nuptiale. Bastien passe la commande en cambodgien et je me dis que mon époux est le compagnon de route idéal. Les yeux brillants, il me révèle qu’il compte bien sillonner la planète avec sa femme nomade. Mon cœur est en joie. Nous retrouvons Kim, qui nous suggère de visiter une cascade très belle qui se trouve à une vingtaine de kilomètres dans les terres. Il ajoute, avec une once de théâtralité, que ces chutes d’eau sont un lieu de prédilection pour les couples en lune de miel. Nous éclatons de rire. Sous une chaleur irradiante, la route de terre rouge s’élance à travers la forêt parfumée. Nous pénétrons dans un site où des cascades dégringolent sur plusieurs niveaux avec une étonnante puissance. Face à ce spectacle époustouflant, sur un pont de bois qui traverse la rivière, nous nous embrassons avec passion. La beauté magnétique du site nous gagne comme un charme séculaire. Une fille gracieuse, un panier sur la tête, s’approche de la rivière pour attraper un crapaud couleur moutarde, qu’elle fera griller ce soir. À l’ombre fraîche de la cascade, nous nous baignons dans l’eau glacée et écumante. Une paix vive et bénie nous perce l’âme. Nous regagnons Sihanoukville à l’heure ardente du couchant. Dans la rage d’une nuit de noces, nous nous aimons.

Des jours étincelants filent dans le vent du large et les rumeurs boisées. Des plages lumineuses et désertes sont le théâtre de nos amours.

Un matin, à l’ombre d’une paillote, les pieds enfoncés dans le sable chaud, je cherche l’inspiration. Des mots comme des paroles de chanson semblent surgir de l’horizon étincelant, entre air et eau. Il y cette danse tangible entre l’effervescence du voyage et le silence de l’écriture, cette porte invisible entre la vie qui irradie et la transposition. J’écris, immobile, comme enracinée dans l’errance. Dans la musique de la houle, mon âme vagabonde au pays des songes. Mon époux magnifique sort de l’eau, le corps brûlant et salé. C’est le plus beau cadeau que la vie m’ait jamais offert. Mon désir chavire jusqu’au vertige. Je remercie le soleil et me roule dans le sable. Nous marchons sur la grève à l’heure crépusculaire. L’astre vermeil glisse vers les terres inconnues et inonde le ciel immense de coulées rosâtres, mouchetées de flocons laiteux. Au loin, sur de la ligne de l’horizon cuivré, un bateau passe. Par des prières, je demande à l’Univers d’autres incarnations. Dans ma prochaine vie, je serai peintre.

KRATIE

Récit d’un mariage rencontré en chemin

Sur les berges du Mékong, nous entendons parler d’un mariage qui se déroulera cet après-midi même. Ce mariage traditionnel khmer semble destiné à notre quête. Notre ami Min Soda, avec lequel nous avons célébré la fête sacrée de l’eau, nous conduit à moto sur un chemin de terre couleur vanille qui borde la rive vers le lieu de la noce. La moto s’arrête devant une arche de plastique, cerclée d’or et scintillante de couleurs violentes. Les noms des mariés sont inscrits en lettres khmer et vermeil. Une photographie des époux dans un cadre doré, est posée sur un chevalet. Sur cette image, les mariés sont vêtus de costumes folkloriques khmers de couleur orange. Bastien me jette un regard tendre. D’amusants souvenirs nous reviennent en mémoire. Dans un jardin, sous un chapiteau, des tables sont dressées pour la noce. Devant une maison de bois sur pilotis, une estrade. Musiciens et techniciens font la balance pour le concert de ce soir. Un homme vient à nous et dans un anglais parfait, nous révèle que ce soir se déroulera la célébration du mariage de Sim Vathna et de Kea Sokhour. Nous sommes bienvenus à la noce, si le cœur nous en dit. Nous promettons de revenir pour participer à la fête nuptiale. Nous remercions chaleureusement l’homme venu nous inviter, alors que nous sommes des inconnus de passage. Il nous sourit généreusement. Il semble ravi de la fête qui se prépare. Nous restons là sous les tentes multicolores, devant les tables décorées et vides. Quelque chose d’invisible me retient là et m’empêche de partir. Sur le perron, j’aperçois des convives qui entrent dans la maison. Je demande ce qui se trame. Le monsieur me répond que la cérémonie religieuse du mariage vient de débuter. Les mariés entourés de leurs proches et d’un prêtre bouddhiste, reçoivent des bénédictions destinées à protéger leur union. Je brûle de pénétrer dans l’antre sacré des épousailles. Ma pensée à peine achevée, que l’homme m’invite d’un grand geste, à me joindre à la célébration. Bastien me chuchote à l’oreille, sur un ton malicieux, que rien ne sait me résister. En silence, nous pénétrons dans la demeure de bois sombre. Min Soda nous emboîte le pas. De l’entrebâillement de la porte, nous apercevons les mariés de dos, vêtus de costumes dorés, assis sur de gros coussins, de la même couleur scintillante. Les membres de la famille les encerclent avec une tendresse émue. Plusieurs photographes immortalisent la scène et un caméraman filme la cérémonie. Le monsieur s’avance et nous invite à nous assoir au sol, avec les invités. Mon cœur brûle de joie. Maintenant, nous faisons face aux mariés, entièrement vêtus d’une somptueuse couleur d’or pâle. Ils sont assis en tailleur, immobiles et silencieux, avec une expression presque vide sur le visage. La mariée porte une couronne perlée, des bijoux lourds et ethniques, et des faux cils qui lui confèrent un regard impénétrable et mystérieux. Nos regards se croisent, je lis son étonnement de voir débarquer pour le plus beau jour de sa vie, un couple d’étrangers habillés comme des hippies. Je ne peux m’empêcher de la dévisager, son élégance, sa jeunesse, son allure de Reine, ses yeux très maquillés et comme rougis par l’émotion.  Mon regard se pose sur le marié. Une paisible satisfaction se lit sur son visage. Il dégage une aura de sagesse propre aux hommes d’expérience. Son charisme mange l’espace autour.

Une étrange émotion me parcourt, celle d’assister à un spectacle merveilleux d’authenticité. Dans la pièce de bois noir, un autel orné de bougies, de fleurs et d’encens. Il trône face aux mariés. Sur le mur, les noms des mariés en lettres khmer, entourés d’un grand cœur rose-bonbon. Un silence recueilli semble brûler l’atmosphère. Les mariés nous regardent de temps à autre avec une chaleur intérieure. Derrière les époux, des jeunes filles d’honneur sont assises sur des nattes. Elles posent comme des modèles inspirés. Elles sont vêtues d’un même costume folklorique, d’une délicieuse couleur turquoise. Soudain, l’action démarre comme au théâtre. Les invités se lèvent deux à deux et se placent de profil, à côté de la mariée ou du marié, selon les liens de parenté. Ils prennent des fils rouges qui trempent dans un bol d’eau à terre, et démarrent le rituel nuptial. Lentement et en chœur, ils nouent au poignet des époux, les fils rutilants et humides qui symbolisent l’union. Au poignet droit pour le mari, au gauche pour l’épouse. Puis ils déposent un ou plusieurs billets, des dollars la plupart du temps, dans les mains ouvertes des époux, qui les tiennent à deux du bout des doigts, chacun une extrémité.  Tous s’immobilisent dans cette action, le temps que les photographes prennent quelques clichés. Les deux personnes retournent ensuite s’assoir et laissent place au couple suivant. Chacun participe ainsi au rituel et au témoignage photographique. Soudain, le marié nous jette des œillades, qui nous invitent à faire de même. Les invités nous encouragent à nous placer près des époux. Toute l’assemblée rit aux éclats.

Bastien me chuchote que le marié est un homme d’une grande classe car il utilise avec élégance notre venue improvisée, comme un impromptu qui valorise son mariage. Nous faisons le rituel dans une grande émotion. J’attache avec douceur au poignet de l’épouse, le fil rouge symbolique et sacré. Par instant, des regards se croisent, des sourires troublés s’échangent. J’ai bizarrement l’impression de la protéger par cet acte sacré. Nous offrons l’argent, nous faisons photographier, retournons à nos places. Les invités forment ensuite une ronde autour du couple. Chacun prend à la main une feuille vert-claire. Des chandeliers défilent de mains en mains, plusieurs fois, dans le cercle, dans le sens des aiguilles d’une montre. A tour de rôle, chacun passe la feuille au-dessus de la flamme de la bougie. Un prêtre chante des mantras protecteurs aux sons énigmatiques. L’atmosphère feutrée est envoûtante. Bastien me sourit avec tendresse. Tous retournent s’assoir comme précédemment. Surgit des coulisses, un artiste qui initie une danse, avec des mouvements lents qui s’apparentent au Nô japonais. Il tourne dans l’espace avec grâce, en décomposant chacun de ses gestes comme un mime. Soudain il se met à chanter d’une voix nasale, comme s’il entonnait une note unique et manquait de souffle. Puis, il tire une épée de théâtre de sa ceinture de tissu. Il joue avec l’objet, en tournant autour des mariés selon la tradition khmère. A la fin du spectacle, les invités se lèvent et se rassemblent sur le balcon de bois où des musiciens, installés sur des nattes, jouent des airs folkloriques de fête. Ils discutent et rient, les yeux brillants. Les mariés se lèvent et semblent épuisés. Une costumière accourt suivie d’une maquilleuse. Toutes deux s’appliquent à faire des raccords, comme au cinéma. La scène est filmée par le caméraman. Bastien et moi, restons émerveillés face à ce surprenant spectacle de mariage. Puis, les mariés quittent la scène et pénètrent dans une loge. Ils se préparent pour la grande fête de ce soir. L’homme qui nous a accueilli tout à l’heure, nous informe que les festivités et le concert débuteront vers vingt heures. Nous promettons de revenir. Nous sautons sur la moto de Min Soda, qui nous ramène en ville. Nous avons quelques heures devant nous pour nous détendre et nous parer pour l’événement. Je suis excitée. Bastien me confie que cette journée est fabuleuse. A la nuit, Min Soda vient nous chercher devant chez nous. Nous montons à bord. La moto file sur la route de terre obscure. L’air est chaud et vibrant de la musique des insectes. Le Mékong d’une mystérieuse couleur métal, coule avec simplicité. Ici et là, nous distinguons des cases de bois éclairées par une faible ampoule. Dans des jardins, à l’orée des rizières, des paysans allument des feux de bois qui illuminent la nuit. Des silhouettes se meuvent comme des roseaux. Des pleurs d’enfants retentissent comme un chant. Une belle intensité flotte dans l’air et nous traverse comme la foudre. Sur la moto, Bastien me sert dans ses bras. Il me confie, comme une révélation, que nous sommes les amants les plus heureux que la terre n’ait jamais porté. Nous rallions la noce qui bat son plein. Les convives festoient dans un joyeux raffut. Ils sont attablés autour de marmites de coquillages éventrés et de restes de canard, les yeux hagards et les rires fous. Ils remplissent de grands verres de glaçons, qu’ils arrosent de whisky, trinquent sans répits en parlant fort, dans une exubérance gargantuesque. Bastien et moi, empruntons l’allée centrale comme des acteurs qui font leur entrée. Des hommes saouls nous hèlent avec une véhémence démesurée. Le mari en personne vient à notre rescousse et nous escorte avec noblesse jusqu’à la table d’honneur. Nous nous installons aux côtés de la mariée, qui a troquée sa tenue traditionnelle contre une robe de princesse rose fuchsia, un idéal féminin de conte de fée. Autour de la table, les demoiselles d’honneur, toutes aussi extravagantes, babillent timidement. Nous nous sourions chaleureusement. Le marié nous invite avec des gestes, à nous servir de crevettes, de viandes et de salades, à profusion sur la table. Il sert un grand verre de whisky à Bastien et aux hommes de la tablée. Sur ma demande, il me sert un soda. Nous trinquons à plusieurs reprises, dans un élan expressif et joyeux. Nous nous félicitions avec les mains. Sur l’estrade le concert débute. Un groupe de pop rock cambodgien fait retentir un son de possédé, qui captive l’attention. Les fortes basses d’une batterie électrique nous tordent les tripes, tandis que les aigües d’une guitare nous crèvent les tympans. Surgissent sur scène, des danseuses vêtues de courtes tenues à la cow-boy, d’une note provocante. La foule s’excite et tous se lèvent pour danser sur la piste. La musique devient plus douce et envoûtante. Au morceau suivant, qui semble plus traditionnel, les convives marchent en ronde, en faisant danser leurs mains, paumes vers le sol ou vers le ciel. Ils se déplacent avec une jolie légèreté et invitent les mariés à se joindre à eux. Bastien et moi, nous nous mêlons à la foule trépidante que la musique langoureuse a rendue plus mielleuse, comme si chacun se souvenait d’un mélodrame romantique. Je suis aux anges de partager cette danse folklorique qui inspire les convives. Le marié nous invite à nous rassoir et nous sert à boire. Bastien, amusé, me confie qu’il vient de trouver une technique pour vider son verre sous la table, et échapper à l’ivresse absolue. Nous éclatons de rire. Qu’il est singulier de se retrouver à des noces paysannes dans un village oublié des bords du Mékong. La musique pop rock a repris pour le bonheur du public. Bastien me prend la main et m’entraîne dans une danse endiablée. La mariée me sourit, complice. Mon fiancé lui aurait-il tapé dans l’œil ?

La soirée se poursuit avec passion. Des hommes très ivres m’agrippent, des femmes rient à gorge déployée, face aux pitreries des convives tandis qu’une chanteuse audacieuse et sexy anime sur scène, cette soirée inoubliable. Le marié comme un Roi généreux, vient nous chercher pour nous offrir à boire. A table, la mariée dévore comme affamée, une cuisse de canard luisante de graisse, qui contraste avec son style « Autant en emporte le vent » Min Soda profite aussi de la fête de mariage. Il a retrouvé un collègue et tous deux sirotent en chœur, comme de joyeux lurons. Nous quittons le bal comme Cendrillon, avant que la frénésie festive ne tourne au cauchemar. Discrètement, nous faisons nos adieux. Je sers les mains de la belle mariée et la complimente une fois de plus. Le marié insiste pour nous garder encore un peu. Nous lui obéissons par politesse, pour un dernier verre, avant de nous éclipser dans la nuit noire des berges, à la recherche de Min Soda. Il est ivre mais assez lucide pour nous conduire en ville. Une gaité fébrile nous enveloppe. La moto file dans l’air frais et chargé de fines gouttes de pluie. Le ciel sombre est prêt à éclater. Nous fermons les yeux sous le vent de la route. Cette nuit est un rêve ethnique.

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