Bribes d’un périple aventureux sur la route de la soie, ARMENIE

ARMENIE

GORIS

La petite ville de Goris, au sud du pays, a toujours été un carrefour de plusieurs voies de communication reliant l’Iran, le Karabakh et le reste de l’Arménie. C’est ici aussi qu’est né en 1899, Aksel Bakunts, le célèbre écrivain de Goris, une figure de la littérature. Voilà l’explication qu’on lit dans sa maison, devenu un petit musée. Ces nouvelles parcourent ces villages retirés du Caucase, aux forêts profondes, aux reliefs montagneux, à la rencontre des peuples pour lesquelles la ville, la guerre et la révolution sont des réalités lointaines. Bien plus qu’une fresque historique et sociale des communautés et des villageois, son œuvre constitue un attachant témoignage d’où jaillit l’appel grisant et libérateur des montagnes.

Devant la maison du grand poète, je découvre un atelier artisanal de création du pain Lavash. Une forte chaleur s’en dégage, et répand sur la rue humide des parfums succulents de pain frais. Devant un four artisanal comme un puits, avec au fond un feu de bois crépitant, une femme est occupée à faire des ronds de pâte, tandis qu’une autre les étale sur une planche rembourrée puis frappe le tout à l’intérieur des briques du four. Une autre encore attrape la fine pâte à l’intérieur à l’aide d’une longue perche surmontée d’un cintre, et la tourne ici et là brièvement autour des flammes, avant de déposer sur un tas la longue et fine pâte à peine cuite, qui se déchire comme du papier. Je m’arrête quelques instants pour contempler la création ancienne et typiquement Arménienne de ce pain délicieux. Je me laisse doucement bercer par cette scène authentique, d’un rythme étonnement rapide malgré la précision des gestes. Les parfums de pain chaud aux odeurs de feu de bois dans cet atelier d’un autre âge me transportent hors du temps.

LE PEINTRE DE GORIS

Dans ce village au sud du pays, entouré de cheminées de fée, ces habitations troglodytes, et de reliefs merveilleux, je rencontre le peintre de Goris, Jirayr Martirosyan, de renommée internationale, et qui a exposé à Yerevan, à New York, à Vienne, en Russie comme en France. Porté par l’énergie de notre rencontre et ma curiosité exacerbée, le peintre m’entraîne dans son atelier qui se trouve dans le vieux Goris constitué des cheminées de fées. Le long du chemin et devant les falaises, ces anciennes habitations dans des grottes, ne cessent de m’intriguer. Son incroyable atelier d’artiste creusé dans la roche, se situe juste à côté d’un théâtre troglodyte, où dans une grotte en partie ouverte, des gradins pour le public ont été creusé devant une petite scène sablonneuse. Ces découvertes sont des plus fascinantes. C’est l’atelier le plus singulier qu’il me soit jamais donné de visiter. Une lourde porte en bois ferme la grotte creusée à même la falaise. A l’intérieur, de vieux objets arméniens traditionnels reposent dans un silence ombreux et froid. Des jarres et des samovars d’un autre temps encadrent de vieux chevalets faits en branche d’arbres. Comme pour parfaire le tableau, le peintre souriant et amusé s’installe à son chevalet artisanal, et se met au travail. Il semble heureux de me faire visiter ce lieu insolite, et fier aussi de cette richesse culturelle de Goris. Nous quittons son atelier que la nuit venue a finit par obscurcir tout à fait, puis nous regagnons en voiture, une galerie d’art, dont Jirayr est le directeur. Là, il me présente ses toiles d’une variété époustouflante de style pictural. Une peinture de trois femmes attire mon attention. Dans un décor coloré, le thème éternel de la féminité et de la nudité se décline. Je décèle aussi un côté surréaliste d’une toile dépeignant une femme à plusieurs visages, à l’instar de certaines peintures de Picasso. Une autre encore, comme une fresque illustre six femmes nues et colorées qui resplendissent de beauté. Aussi, un portrait d’une muse à la longue chevelure comme des algues, qui s’apparente aux icônes antiques. Je retrouve le style d’influence surréaliste avec une toile illustrant le thème de la famille. Le tableau coloré et orné de symboles traduit une recherche artistique tournée vers l’Occident, et offre ici et là des éléments comme les vêtements traditionnels ou les fameuses croix sculptées dans la pierre, qui rappellent la culture arménienne. Une femme arménienne portant un chapeau doté d’une voilette rouge, offre deux visages qui apparaissent dans la composition de style figuratif, que l’on peut interpréter comme le visage de la femme sociale et celui plus intime de son âme. Au fil des découvertes, on retrouve une peinture de style classique, où une vieille femme des montagnes, vêtue d’un costume vert et rouge de velours et coiffée d’une toque enveloppée d’un foulard bleu qu’une grande étole sombre entoure, pose fièrement, appuyée contre un tapis mural brodé. On devine à l’arrière plan un paysage de montagne. Puis, pour achever la rencontre initiatique, l’artiste me présente la toile, qui selon lui représente son « vrai style ». Des portraits d’Adam et d’Eve, comme l’image des deux faces du monde ou des deux polarités de toutes choses, le Yin et le Yang, le noir et le blanc, la vie et la mort. Ces deux visages existent sur un fond où la matière est striée en de fines traînées de peinture de style symboliste. Un serpent biblique flotte au-dessus de ces visages naïfs et beaux. La peinture s’apparente à une vision personnelle du mythe de la création. Avec tendresse, l’artiste me dit que je ressemble à Eve et à toutes les muses lointaines et les Madones qui ont inspiré les créateurs des arts depuis des temps immémoriaux. L’artiste me dévisage avec attention. Les flammes de l’inspiration passent dans ses yeux. Puis, plus sérieusement, il ajoute qu’il se souvient de toujours avoir peint, chaque jour. Son travail semble arriver enfin à maturité. Toutes les différentes recherches artistiques ont fini par aboutir, s’étant forgé un regard propre, un style personnel. Un silence multicolore enveloppe délicatement les toiles innombrables de la galerie, que l’artiste a fait vivre devant mes yeux. Nous nous sourions avec une tendresse pleine d’humour. Nos âmes nous remercient du fond du cœur.

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