Bribes d’un périple aventureux sur la route de la soie, GEORGIE

GEORGIE

TELAVI, REGION DE KAKHETI

Devant la cathédrale Alaverdi, qui mène à Telavi, une marshrutka attend. Le chauffeur me fait signe de m’installer, tandis qu’une troupe de femmes accompagnée d’enfants en bas âge monte à bord. Le transport quitte la fabuleuse cathédrale qui trône dans la vallée aux teintes rouille, passe une rivière puis traverse des villages ravissants. Sur des terrasses de pierre, des tas de maïs jaunes sèchent à l’ombre douce sous les grenadiers aux fruits rouges. Nous longeons des champs de blé, de maïs, et des plantations de vignes puis quittons la route principale pour grimper sur une colline. Là, repose la célèbre église Tetri Georgi, qui surplombe la vallée, ses champs et ses villages. Étonnée, je demande au chauffeur, pourquoi nous n’allons pas à Telavi, la destination d’origine. A l’arrière, les femmes bavardent sans interruption, tandis que les enfants babillent ou jouent en poussant des cris. Après maintes explications, je comprends finalement que je suis à bord d’un véhicule loué par un jardin d’enfants, et que toute l’équipe profite d’une belle journée ensoleillée pour faire une excursion, un pique-nique au pied de la belle église perchée sur le haut d’une colline oranger, semée de vergers et de vignobles. Dans un élan généreux, les femmes m’invitent à leur goûter en compagnie des enfants excités. Nous faisons halte devant la vieille église blanche. Sur le parvis, un prêtre tout de noir vêtu semble bénir trois hommes accompagnés d’un mouton prêt à être sacrifié pour quelques fêtes christiques. Les femmes se recouvrent la tête d’un voile, puis pénètrent dans l’église, avec une précipitation profane qui contraste avec la sérénité recueillie du lieu. Elles s’agitent ici et là, à la recherche des enfants qui courent en tout sens et qui se cachent et s’amusent avec innocente. Après quelques cierges déposés dans les portes-bougies, elles semblent interrompre leurs prières, pour canaliser les enfants, de plus en plus bruyants. Nous nous installons dans un vaste jardin, à l’arrière de l’église blanche, face à la vallée immense aux teintes d’orange. En un clin d’œil, les femmes, tout en bavardant, sortent de grands cabas, des plats de viande, des salades d’aubergine, des plateaux de fromage frais, des salades aux herbes, comme aussi des bouteilles de limonade et de vin artisanal. Une euphorie monte comme un chœur. Nous nous installons autour de la grande table de jardin, pour une magnifique bombance, autant excessive que surprenante. On m’offre à déguster du vin rouge d’un village voisin, et des portions de khachapuri, un plat traditionnel géorgien, sorte de tarte au fromage fondant, avant de me régaler de gâteaux crémeux faits maison. Pleine de gratitude, je conte aux femmes ma surprise de me trouver là, sur cette terrasse d’une église perchée sur le haut d’une colline, à pique-niquer avec tout un jardin d’enfants, alors que je cherchais à me rendre en direction de Telavi, au vieux monastère d’Ikalto. Les femmes éclatent de rire, puis bavardent de plus belles, en se servant du vin et en dégustant des noix, des noisettes et des grappes de raisins des villages, tandis que les enfants s’amuser avec des bulles de savon. Les rires montent sur le bourdonnement joyeux des conversations. Un sentiment d’allégresse descend du ciel et caresse le monde.

TELAVI, REGION DE KAKHETI

Un matin, me rends au bazar de Telavi, un marché authentique et animé, où des vieilles des villages voisins vendent des raisins, des pommes rouges et des kakis de leur jardin. Je déambule à travers les étals d’épices et de fruits secs, où des lots de churchxela sont suspendus sous les lumières comme des saucissons. Ce sont des sucreries traditionnelles, faites de pâte de raisin et fourrées de noix ou de noisette, de couleur brune et de forme cylindrique. Une dame brune et opulente me fait goûter à cette sucrerie géorgienne irrésistible. Je traverse le marché qui déborde d’étals de fruits et légumes, et saute dans une marshrutka pour la cité ancienne de Sighnaghi, renommée pour sa beauté exceptionnelle, et qui repose sur les hauteurs dominant les collines et la vallée Alazani. Dans la vieille cité, un jeune homme aux yeux d’un bleu perçant, me révèle qu’une légende plane sur le village, renommé pour attirer l’amour. Il est coutume que les géorgiens se rendent à Sighnaghi seuls, et en reviennent avec l’âme sœur. Et cela depuis des temps immémoriaux. De nos jours, la légende perdure et continue de hanter le cœur de ceux qui désirent rencontrer le grand amour. Dans un grand éclat de rire, le jeune homme me confie que cette ancienne cité fortifiée est la capitale géorgienne de l’amour.

AKHALTSIKHE

Là, un château somptueux du dix-huitième siècle domine la ville. De la fin du dix-septième siècle au milieu du dix-neuvième, un Pacha Ottoman gouverne la cité. La vieille ville, nommée Rabati, est une merveille, complètement restaurée, car pendant des lustres on ne trouvait que des ruines. Les influences architecturales diverses illustrent les brassages de cultures. Pour se rendre au château, on doit traverser la rivière Potskhovi, puis grimper sur la colline, où le long de l’unique ruelle, des maisons traditionnelles géorgiennes, des Darbazebi, s’égrènent avec un charme d’antan. Maisons aux balcons de bois sculptés comme au Caire. Des tours moyenâgeuses trônent dans le ciel bleu. La muraille apparaît sur les hauteurs. De là haut, la rivière glisse près de la forteresse cernée de maisons traditionnelles et d’arbres aux feuilles rouille. Je déambule au hasard de la cité d’un Pacha, où le dôme doré de la vielle mosquée étincelle de soleil, près de l’église de pierre longtemps abandonnée. Le dôme de la mosquée d’une beauté picturale se reflète dans le bassin.  Ici et là, des vues superbes s’étalent sur la ville traversée d’une rivière claire. Des maisonnettes semées sur les rives verdoyantes, des fumées s’échappent.

Panorama sur la citadelle : les tours circulaires, l’arsenal, la mosquée, le bassin, la fontaine, et le caravansérail. A cette époque la position de la ville fit sa renommée, se situant au croisement des routes, à la frontière de la Turquie et de l’Arménie. Cette croisée des chemins était une étape importante sur la route des caravanes qui s’acheminaient en direction d’Adjara aux bords de la mer Noire, puis vers la Turquie et Byzance, ou alors vers la mer Caspienne et direction de la Chine. A l’intérieur de la forteresse perchée sur des raides rochers, entourée de murailles, trône un célèbre caravansérail où jadis les marchands faisaient halte. Ce lieu mythique était très bien placé. Les voyageurs avaient tout à portée de main pendant leur escale : une mosquée, une medersa, un minaret, une église, comme aussi des bains publics et des boutiques. Cette cité fortifiée était très métissée, peuplée d’Arméniens, de Grecs, de Russes, de Turques et d’Hébreux, symbole d’ouverture au monde et de tolérance. Je déambule à travers les tours, et découvre, enchantée, qu’on donne un spectacle de danses folkloriques. Des filles vêtues de robe rose, coiffées de tresse noire et de toques avec une voilette blanche, posent devant le mur d’enceinte avant d’entrer en scène. Les hommes sont vêtus de velours noir cerclé d’or et les femmes de robe violine ornée d’un pan central brodé d’or, et coiffées de couronnes de reine, les bras décorés de bijoux. Les danses sont lentes et gracieuses, les hommes entourant les femmes. Puis, les femmes dansent en chœur, en tournant lentement, les unes contre les autres, comme une même âme, vêtues d’une même tenue violette. Le tableau suivant illustre les danses guerrières du Caucase, la danse de Batumi, où les hommes, vêtus en noir et rouge, portant des peaux de mouton sur les épaules, se provoquent, et font leur numéro de prestige. A tour de rôle, ils s’encouragent en tapant des mains. Les danses très physiques, faites de sauts et d’acrobaties ou de figurent sur les genoux, traduisent le style guerrier des peuples du Caucase. Puis les femmes entrent en scène pour conquérir le cœur des hommes. Elles sont vêtues comme des gitanes, portant de longues jupes et des foulards sur la tête, de tons gris et vieux rose. C’est une danse fabuleuse de séduction en chœur. Puis apparaissent à nouveau des hommes, cette fois vêtus de noir, avec une ceinture d’or à la taille et coiffés d’un foulard de pirate. Les couples se forment dans un rythme endiablé, métaphore de la conquête amoureuse. Une envie de danser me prend au corps.

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