Bribes d’un périple aventureux sur la route de la soie, IRAN

IRAN

ESFAHAN

Balade extatique dans la cité de rêve, ancienne cité achéménide avant de devenir l’illustre capitale, la moitié du monde selon le dicton persan, crée en 1589 par le Roi Shâh Abbâs le Grand. Comme beaucoup d’illustres cités, elle fut décimée par les armées mongoles de Gengis Khan au treizième siècle comme aussi par l’invasion d’Amir Timur au quatorzième siècle. Le magnifique bazar impérial débouche sur la place royale, Naqsh-e Jahan, fabuleuse et immense, où des mosquées bleu de Perse côtoient un palais royal somptueux. Place royale traversée de fontaines et de jets d’eau, élégance poussée au paroxysme de la beauté, symbole des dynasties Safavideoù au siècle passé Pierre Loti s’émerveilla. Déambulation fascinée au cœur du palais royale Kakh-e Chehel Sotun, devant lequel un grand bassin d’eau émeraude s’étire avec grâce, et dont les colonnes se reflètent dans l’eau, comme une métaphore poétique de la démultiplication de l’abondance. Plafonds aux décors époustouflants, mosaïques de miroirs aux reflets intrigants, fresques décorant le palais qui illustrent la vie des Shâh Safavide. Des princesses se prélassent entourées de coussins avec une oisiveté parfaite sur l’herbe verte, au pied de montagnes pures découpées dans le ciel. Elles sont coiffées de longues tresses noires et vêtues de tuniques soyeuses et orange, drapées de foulards aux motifs indiens. Devant elles, des princes enturbannés de cotonnades violet ou parme, sont occupés à verser du vin de jarres dorées.  Dans un décor d’une nature exquise, leur visage sont radieux des bienfaits du plaisir. Aussi, des scènes au sein du palais dépeignent les réceptions grandioses. Des danseuses aux robes pourpres dansent entourées de musiciens. Elles sont coiffées de foulards à l’indienne et jouent de la Setar, du tambourin, du Tarou ou du Kamancheh, devant le Shâh Abbâs II, recevant en grande pompe le Roi du Turkestan.  Le regard, objectif saturé de lumière, ne peut absorber la profusion insolente de tant de richesses. Balade au cœur du bazar impérial qui abrite des caravansérails, dont un abrite des restaurateurs de tapis anciens. Arrivée à la mosquée royale, Masjed-e Sheik Loftfollah, irradiante de faïences bleues, ornées de fleurs jaunes. Étourdissement de l’âme, scintillement du cœur, ivresse de la perfection. Sur la place de Naqsh-e Jaham, l’astre solaire déverse son lait de feu, pensées de magma, méditation enivrée, contemplation intense à l’heure où l’univers fait glisser son voile de rose sur les palais et les mosquées. Correspondances des sons et couleurs, plaisir irradiant des sens, rêve esthétique d’une fulgurance intangible. Chansons des bruits alentours où chantent les jets d’eau, rythmés par les clochettes des calèches faisant le tour de la place, traversé par le chant du muezzin dont la voix pleurante semble implorer les humains embrasser le divin. Sur la place baignée de lumière mourante, où le bleu des dômes disparaît dans celui des cieux, les habitants se plaisent à pique-niquer dans l’euphorie. Simplicité d’être au monde. Des capteurs d’énergie semblent se dresser autour de moi, comme les rayons luisants d’un soleil foudroyant.

Les temples zoroastriens, les temples du feu 

Le mouvement zoroastrien s’est étendu jusqu’en Inde où on le nomme Varahram. Les zoroastriens ont depuis tout temps respecté et protégé le feu, comme aussi les trois autres éléments : la terre, l’eau et l’air. Depuis des temps reculés, le peuple persan a considéré le feu comme un élément faisant partie de l’existence, servant à se laver des impuretés et à vaincre les forces du démon.

Les préceptes zoroastriens : les commandements

  1. Croire en un Dieu unique, créateur de la vie, dont la manifestation est partout.
  2. Croire au prophète Zarathushtra, le premier messager de la terre qui a proposé une religion de conscience.
  3. Croire en d’autres mondes, celui du ciel et celui de l’enfer.
  4. Se laisser gouverner par la loi Asha qui la vérité.
  5. Croire à l’essence de l’homme et de l’humanité. Dieu lui a donné une essence pure car il l’a donné de raison et de conscience. Dieu a donné le libre arbitre à l’homme et considère tous les hommes comme égaux.
  6. Croire aux Amsha Spandan

Ahura Mazda (monothéisme)

Vohooman (conscience)

Ardibehesht (vérité)

Shahrivar (composante)

Sepandarmazd (bienveillance et promesse tenue)

Armordad (la morale et la pratique dynamique des sept commandements).

  • Croire en la philanthropie et la générosité, se sentir responsable d’aider et d’assister les autres.
  • Croire en l’existence sensible des quatre éléments et respecter la nature. Faire reculer l’ignorance à l’aide de la connaissance.

Dans le temple du Feu de Yazd, le feu brûle sans cesse depuis le cinquième siècle après J.C, depuis l’an 470. Une force irréductible ne semble pas se consumer, malgré les flammes d’un feu de bois qui crépite dans une large vasque dorée. Une énergie ineffable a su maintenir depuis des siècles un feu frémissant, symbole d’amour, un lien tangible et brûlant entre les peuples depuis que les zoroastriens ont élu le feu comme emblème de lumière. Ils le prient dans la direction du feu, ou du soleil, ce qui les rapproche de la source, d’Ahura Mazda. La flamme de vie inépuisable se transmet d’âme en âme, à travers les siècles, à l’instar de celle que nous possédons à l’intérieur du cœur, petite lueur divine, paillettes d’éternité. Je me sens traversée de la tête au pied par le feu sacré, par les flammes des anciens qui ont vu naître le monde, et dont je porte en moi les racines.

TEHERAN

IMPRESSIONS

Au cœur de la vieille ville, le grand bazar de Téhéran est extrêmement embouteillé à l’instar de la capitale. A l’entrée du bazar, sous une arche décorée et grouillante d’une foule pressée qui s’agite, la couleur noire domine. Tchadors soyeux qui dansent au gré des déambulations hasardeuses des passants, mouvements interrompus par les allées et venues des commis ravitaillant les échoppes innombrables du tortueux marché couvert. Une folle déferlante se bouscule dans les venelles sombres et étroites aux odeurs nauséabondes. Des vieux courbés poussent des chariots contenant des échafaudages de marchandises. Ils transportent des tapis par dizaine ou des ballots mystérieux empaquetés de toile blanche. Des vendeurs ambulants hurlent à la cantonade le même refrain nasillard et hypnotique, musique bercée de chaos qui se mêle au roulis des chariots, aux cris des marchands, à la rumeur de la foule.

Changer de l’argent est en soi une aventure. Dans ce pays énigmatique, la monnaie locale porte deux noms. Les Rials et les Tomans. Comme les Rials ont subit une dévaluation énorme, on les a rebaptisés les Tomans. Mais ce sont les mêmes billets. Et dans la vie quotidienne, on prend l’habitude de retirer un zéro pour avoir les prix en Tomans. A Téhéran, dans les boutiques, la plupart des gens donnent encore les prix en Rials, et on passe son temps à ôter un zéro avant de tout convertir en euro. Les chiffres montent vite et on s’y perd. D’autant qu’au bazar peu de gens parlent anglais, et vous montrent gentiment les prix en lettres persanes, merveilleusement dessinées ressemblant plus à de la calligraphie qu’à une addition. 100.000 Rials, 10.000 Tomans, environ 3 euros. A ce rythme-là, on atteint vite le million, et pour une artiste qui ne sait pas compter, les transactions s’avèrent délicates. Surtout lorsqu’on change 100 euros, et que pour vous rendre service, on vous fait la faveur de vous donner des petites coupures, en billets de 5000 Tomans – environ 1,5 euros – et qu’on se retrouve avec 35 billets de 5000 Tomans, soit 350.000 Tomans sans savoir comment les répartir dans sa pochette ou son sac.

Balade exténuante au cœur de la capitale, rues au trafic insoutenable où une noire poussière, une couche de pollution crasseuse, vous recouvre comme un sable de désert. Fouillis des rues et des artères, chaos inextricable du trafic. Aussi, les passants traversent n’importe où, en faisant un signe de la main aux véhicules roulant à une vitesse folle parmi le maelstrom des motos et mobylettes, à la conduite dangereuse. Ivresse ahurissante de ce spectacle urbain. Ampleur des sons stridents jusqu’au paroxysme.

Espérer découvrir les splendeurs de la cité ancienne. Se réfugier au calme du ravissant parc ombragé et orné de fontaines du Golestan Palace datant du seizième siècle, de la brillante périodeSavafide. Palais royal d’un autre âge, constructions splendides décorées de mosaïques, fresques de faïences aux couleurs infinies, frises de fleurs, dessins géométriques, représentations figuratives de la vie grandiose. Plafonds de bois rehaussé de fresques dorées. Ivresse de ce faste inouïe que le regard ne peut embrasser en entier et qui donne le vertige à force de s’y plonger. Salons de miroirs, mosaïques des reflets, jeu inépuisable de lumière, d’ombre et de l’image. Apparitions et disparitions, jeu de reflets au cœur de l’immensité du palais. La réalité se transformerait-elle ici en mirage féerique ?!

Brûlure foudroyante du soleil de midi. Devant le bazar, un stand de jus de fruits frais. Dégustation d’un jus de melon vert comme un nectar de jouvence. Puis je m’aventure dans le métro. Chaque station abrite des fresques et des mosaïques étonnantes aux teintes scintillantes qui contrastent avec le défilé des Tchadors comme autant de fantômes invisibles, non identifiables, identiques. Arrivée sur le quai, devant le wagon réservé aux hommes et rater le métro, le wagon des femmes étant tout au bout du quai. Attendre le suivant entourée de douceur féminine. Tendresse et curiosité dans les regards, beauté des visages aux grands yeux d’ébène à l’instar des fresques qui ornent les palais persans.  Princesses délicates, au teint pâle, grands yeux de biches aux cils de poupée, raffinement inné des gestes, grâce de la présence cultivée depuis des siècles. Quitter le tourbillon saturé au centre-ville et m’aventurer au nord de la ville, au pied de la fameuse montagne, rafraîchissante et chic, contre forts convoités par la classe aisée. S’immerger dans les anciens palais des Shahs, Palace Blanc et Palace Vert, demeure d’été du Shah. Bijoux de splendeur, exubérance de luxe, faste d’une autre ère, chambre aux milliers de miroirs, constellations des brillances, fresques exquises et plafonds peints au style débordant, surchargé de dorure, de frises fleuries, foisonnement tourbillonnant d’une extase artistique. Objets royaux d’une richesse inestimable, sabre d’or incrusté de pierres précieuses aux brillantes incroyables, couronnes déferlantes de rubis, d’émeraude, de turquoise, coiffes royales de plumes d’argent ornées de vagues de diamants. Abondance merveilleuse comme irréelle, frôlant la légende, conte de fée d’une lignée glorieuse de rois persans.

BALADE SACREE

A l’heure du coucher de soleil sur la bruyante capitale, parmi le foisonnement grouillant, la boule de feu sanguine déverse sa luminosité précieuse sur la rumeur grondante des avenues surmenées, qu’un voile noirâtre drape avec effroi. En revenant du célèbre Pârk-e Mellat, alors que je tente de rejoindre le métro le plus proche, par les avenues stridentes, je débouche sur une place très animée. Impasses bousculées de vendeurs à la sauvette, de stands de chinoiseries, de tapis de prière et de bondieuseries musulmanes, de marchands de fruits, de légumes, de gâteaux. Là, commence un petit bazar bondé, tourmenté d’une foule qui déambule dans la même direction, vers une très ancienne mosquée de toute beauté, dont les minarets crèvent le ciel bleu de gris. Faïences florales aux dégradés des bleus qui épousent les nuages parfaits drapés de pollution. Je repense à la fascination des bleus d’Orient décrit par Nicolas Bouvier, dans L’Usage du monde, et je me demande si lui aussi venait s’abriter à l’ombre silencieuse d’une mosquée de Téhéran. Alors que je rêve à la poésie du monde et à la conversation des minarets avec le ciel, une jeune femme vient à moi. Elle m’explique que je suis dans une mosquée qui abrite un Holy Shrine , un mausolée d’un grand Imam. Sans que j’ai le temps de répliquer, elle m’habille d’un Tchador grisâtre et triste et m’entraîne dans l’espace de la mosquée, dédié aux femmes, tapissé d’une infinité de miroirs, mosaïques des reflets argentés troublant de splendeur. Lieu de prière transformé en lieu de vie, pétillant, criard, euphorie, où des femmes pleurent, bavardent ou interpellent des enfants amusés qui s’agitent en tout sens. Ici, on bavarde, on se raconte, on rit, ou on s’endort, bercé dans l’ombre vibrante de ce décor d’argent, à l’aulne d’un grand Imam protecteur.

LA MAGIE DU SANTOUR

A Téhéran, le soir offre son rêve de musique persan, salon de thé traditionnel où des musiciens font vibrer la nuit d’une douceur d’antan. Un homme rayonnant fait sonner un Santour de deux baguettes agiles. Mélodies dansantes qui traversent les tonalités, rythmes lancinants aux accents d’une allègre tristesse, d’une mélancolie inspirante. Un autre fait courir ses mains sur une Darbouka endiablée. Comme aussi un chanteur qui traverse les mélodies populaires persanes. A l’hôtel Mashad, du nom de la ville sainte à l’Est du pays, je me délasse dans une chambre au confort sommaire, donnant sur l’avenue Amir Kamir, extrêmement bruyante de jour comme de nuit. Des notes des musiques inespérées d’un Santour inondent soudain mon espace, appel magique d’une fée venue illuminer la mélancolie nocturne qui m’habite. Les mélodies langoureuses, au rythme lancinant, venant je ne sais d’où, emplissent peu à peu le temple de mon cœur et recouvre d’un voile poétique, la rumeur hypnotique du trafic incessant. Étrangement les notes pures semblent vibrer de plus en plus près de moi. Intriguée, je sors de ma chambre et m’aventure dans le couloir désert, éblouie d’une crue lumière. J’écoute attentivement et cherche d’où viennent ces notes enchanteresses, musique sacrée des anges venue réchauffer mon errance dans ce lieu dépourvu de charme, au cœur de la capitale. La réponse m’apparaît comme un signe, de la chambre voisine. Attirée comme par un charme irrésistible, je frappe à la porte. Un jeune homme charmant m’ouvre. Je lui confie qu’éprise de musique, j’ai voulu connaître l’identité du joueur de Santour. Surpris, il se présente à moi. Il se prénomme Salih, vient d’Istanbul pour suivre une formation avec un grand maître du Santour, Ali Bahrami Fard. D’un geste vif, il dégage une longue mèche de cheveux ondulant devant son visage pâle, me contemple d’un air tendre, puis m’invite à m’installer sur son lit. Puis, il commence à répéter. Il me précise qu’il a du travail car son maître est exigeant, et que les soirées sont consacrées à fixer les morceaux classiques appris dans la journée. Dans un silence bruyant traversé des bruits inépuisables de la circulation, les sonorités puissantes aux intervalles troublantes contactent la tristesse de l’âme. Les accords d’une gravité profonde qui dépeignent la nostalgie de l’amour, emplissent la chambre désolée d’une plénitude piquante. Je me laisse inspirer par cette musique traditionnelle aux pouvoirs éclairant, nourriture énergétique qui allume mes trois soleils, mon cœur, mon corps et mon esprit. Salih joue avec une volonté touchante. Il se trompe puis reprend encore, infatigablement, en quête de perfection, en quête de beauté. Une brume rosâtre semble nous envelopper dans une bulle précieuse, loin du tumulte chronique de Téhéran.

DERNIERS INSTANTS EN IRAN

Le dernier soir de mon périple en Iran est arrivé. Je retrouve la belle Bahar, sœur de cœur, à la beauté époustouflante, dont le teint diaphane et les grands yeux de chat m’hypnotisent. Elle m’attend, au métro Imam Khomeni, près du grand bazar. Belle comme la lune, les cheveux enveloppés d’un foulard rutilant, impatiente. Avec l’élégance d’une princesse et l’excitation d’une enfant, elle me saute au cou et m’annonce qu’elle me réserve une surprise ce soir. Puis, d’un geste enjoué, elle me prend la main et m’entraîne dans le métro. Nous rejoignons son fiancé, Ardavon, qui nous attend, à quelques stations de là, accompagné d’un ami, Vahid. Nous les saluons puis emboîtons le pas aux garçons qui nous conduisent chez Ardavon, pour une soirée surprise, un dîner musical. Tandis que Bahar découpe un melon vert, et qu’Ardavon fume une cigarette, Vahid sort sa Setar, une sorte de mandoline à trois cordes. Il se met à jouer avec une fluidité surprenante, des mélopées lyriques populaires qui racontent les mélancolies de l’existence. Dans un climat d’allégresse, des airs merveilleux s’élèvent dans nos cœurs, et semblent tisser entre nous, l’arbre sacré de la vie. En ces instants fugaces, nous sommes offerts à la rencontre. Les mélodies content l’abondance du monde ou les pensées tristes d’un amour perdu. Des notes nostalgiques et vibrantes habitent notre dernière nuit ensemble. Les larmes aux yeux, je remercie Vahid pour ce voyage intime vers notre magma intérieur, pour cette offrande des beautés de la Perse, le soir de mon départ, en guise d’adieu. Nous dînons ensemble dans une ambiance de fête. Badinage et profondeur se mêlent comme des noces intérieures qui unissent les contraires. L’émincé d’aubergines aux pommes de terre a le goût de l’amour. Ensemble nous sirotons notre dernier thé, comme le calumet de la paix qui unit nos mondes.

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