Bribes d’un périple aventureux sur la route de la soie, KAZAKHSTAN

Kazakhstan

TARAZ

Je poursuis la route en direction du Sud-est et d’Almaty, la capitale culturelle, et plus loin encore vers Bichkek au Kirghizistan. Je fais escale à Taraz, une bourgade sur la route d’Almaty. Pour la première fois depuis le début du voyage, un ciel d’orage, sombre et traversé d’éclairs surplombe la ville de son voile humide. Une averse d’été, fugace et rafraîchissante éclate à la fin jour. Le crépuscule obscur donne aux grandes avenues embouteillées, un air d’ennui. Je trouve à me loger dans un hôtel de l’époque soviétique, immense bâtiment aux multiples étages, avec des chambres toutes semblables et dépourvues de charme. Alors que je m’aventure au bazar qui jouxte un joli parc, à la recherche de quelques somsas aux pommes de terre et de fruits frais, je fais la connaissance d’une dame charmante, accompagnée de son petit fils, âgé de cinq ans. Comme moi, elle fait ses courses dans la cohue des allées, les bousculades devant les étals de fruits et légumes, les harangues de marchands. Nous finissons nos courses. La pluie déferle de plus belle. La roue qui longe le marché est très embouteillée, un nombre incalculable de bus passent devant ce bazar vivant à souhait, tandis qu’une foule monte à bord, chargée de paquets de pain, de pastèque. La nuit semble déjà presque tombée tant le ciel gris de pollution est noir. La dame avec un sourire lumineux me demande, en russe, où je vais, et me fait comprendre qu’elle habite à deux pas de l’hôtel Taraz. Le petit garçon, adorable comme agité, s’amuse à se bagarrer avec moi, en poussant de longs cris drôles, étonné sans doute par la présence d’une étrangère, ce qui fait éclater de rire sa grand-mère. Nous arrêtons un taxi, au cœur de ce maelstrom de véhicules forçant le passage à grands coups de klaxon et de freins. Alors que le petit garçon poursuit ses plaisanteries, la grand-mère m’invite, avec tout le naturel du monde, à prendre un goûter chez elle. J’accepte avec joie l’invitation fortuite. Nous empruntons une ruelle piétonne bordée de maisonnettes aux jardins fleuris, où des groupes d’enfants s’amusent à sillonner en trottinette dans la fraîcheur du soir. Une euphorie enfantine colore la fin du jour d’une note émouvante. Nous atteignons la maison de la dame, qui donne sur un jardin radieux. La nuit vient avec le vent. Nous sommes accueillis par la sœur de mon hôtesse, qui s’empresse de dresser une belle table de mille douceurs, alors que le petit garçon retrouve son frère pour de bruyants jeux de bagarre dans le jardin nocturne. Sur la toile cirée, des ramequins de biscuits, de bonbons, de confiture, de fruits secs, de fromage, de pain, de gâteaux à la crème, le tout accompagné de thé noir parfumé. Nous nous installons toutes les trois à table et bavardons avec les quelques mots que nous connaissons en commun. La dame se prénomme Chopar et sa sœur, Luba. Nous savourons ce délicieux goûter. Des rires taisent les silences, et nous nous racontons avec les mains. Chopar me confie qu’elle est médecin gynécologue, et que malgré l’aspect rationnel et scientifique de son métier, elle possède un véritable pouvoir magique, et qu’au contact de son énergie occulte et bénéfique, toutes les femmes tombent enceinte. Son regard vibre d’un éclat unique et ne cesse de s’intensifier tandis qu’elle m’observe sous un angle nouveau, en me donnant trois petites tapes sur le ventre. Émue, j’éclate de rire avant de fondre en larmes. Avec un air d’autorité et plein d’une tendresse aimante, elle me fait comprendre qu’un jour aussi, cela m’arrivera et que cette création-là rencontrera mon chemin. Sa sœur Luba, avec un air plein de malice, nous sert encore un thé. Une fois les trois tasses remplies, elle pousse un cri d’une exaltation inouïe, qui me sort de ma rêverie. Des petites bulles d’air d’une blancheur d’écume se sont formées à la surface et flottent dans chaque tasse. Chopar en éclatant de rire, me fait comprendre que ce signe signifie une rentrée d’argent importante, que nous sommes toutes trois extrêmement chanceuses, et qu’il faut avaler ces petites bulles votives sans perdre une seconde. Nous prenons ce thé de bon augure, symbole d’un destin protégé, comme un festin de fées d’un autre âge. Les regards s’intensifient, les sourires relèvent d’une impalpable vibration, dans ce salon traversé de forces invisibles à l’heure du goûter. Nous nous quittons avec une chaleur indicible comme si nous nous connaissions depuis des siècles. Dans la ruelle obscure d’un ciel sans lune, la grand-mère magicienne frappe encore sur mon ventre en guise d’adieu comme un langage puissant relié aux forces souterraines et inconsciences de la nature féminine. Tout mon corps tremble comme une feuille dans la brise pluvieuse de la nuit.

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