Fragments d’une errance merveilleuse, BELIZE

BELIZE

Ile de Caye Caulker

Un don de lumière

A la fin du jour, je saute dans un bateau pour goûter aux charmes insulaires.Le vent tourbillonne dans les mangroves. Avec leurs étranges racines, elles survivent aux rafales. Le ciel s’assombrit et devient pastel, d’un bleu passé de tableau. L’eau translucide tourne au vert profond qui inquiète les esprits. De grands sigles noirâtres naissent aux confins du ciel et masquent le soleil. Mais déjà les contours de l’île se dessinent au loin. Sur la berge que longe le bateau, des maisonnettes sur pilotis en bois peint, du même délavé que le ciel, s’érigent de nulle part, perdues au bout de l’azur. Qu’elles soient mauves ou vert-bouteille, il semble que le ciel ait déteint sur elles, sa grisâtre teinte, leur retirant tout leur éclat.

L’île est un bout de terre égarée par les dieux, délicieusement minuscule. Ça et là, des pontons de bois clairs habillent la rive parsemée de mangroves. Le vent fait claquer les feuilles de palme ainsi que les mobiles dansants des bords de plage. Une douce musique s’élève dans les airs. La nuit tombe avec sa levée de guirlandes.

Un sempiternel reggae fait place aux sons de la nuit. Des rastas tranquilles flairent les nouveaux venus. Visages noirs, sourires larges. Je marche sur la grève déglinguée entre stands de raphia et de poissons grillés. L’atmosphère d’abandon m’enchante. Et bien vite, sans même m’en apercevoir, je fais le tour de l’île. De jolies maisons de bois aux couleurs éclatantes me rappellent étrangement le Ghana.

Des correspondances se tissent. Je fais la connaissance de Stève, un marin rasta. Il porte des dreads avec l’air heureux. Nous prenons un verre dans une gargote exposé aux quatre vents. Au loin, il me montre son voilier avec lequel il va pêcher et contempler la beauté du monde. Il me regarde avec intensité, me dit qu’il vit à l’intuition et ressent les gens à distance.Sans doute, la force du pouvoir maya qui plane toujours dans la région. D’un œil magnétique, il me confie, que leur esprit était tant éveillé qu’il en demeure toujours quelque chose bien des siècles après. Mais seules les âmes très sensibles peuvent capter cela, insiste-t-il, en me fixant.A la façon dont il entend ce que je lui dis, je le soupçonne d’être un sage, un initié, un médium entre terre et ciel.Dans la nuit agitée, nous prenons place sur un tronc de palmier.  Stève, d’une générosité spirituelle m’offre un onctueux massage. Le corps, est le relais de l’énergie céleste qui vient nourrir la terre. Je reste sans voix, et remercie l’univers.

Les ruines mayas de Cahal Pech

Une vision

Je traverse le pays d’Est en Ouest en quelques heures à peine.

Une végétation tropicale recouvre des dizaines de kilomètres. Çà et là, comme jetées d’un coup de pinceau, quelques demeures de bois de vives couleurs.Le bus est archi bordé d’une foule ethnique. Les noirs venus d’Afrique côtoient les indiens mayas mais beaucoup d’entre eux sont métisses depuis des siècles. Ce voyage est une mise en abîme. Je voyage entre Zanzibar, Cuba, le Brésil. Chaque arrêt est un défilé sans fin, une mosaïque qui défile comme des vagues.

Le ciel est couvert et n’offre pourtant que lourdeur et étouffement. Je colle mon nez contre le carreau qu’on ne peut plus remonter. Le tableau est exotique.

San Ignacio, proche de la frontière guatémaltèque, ressemble à une petite ville du Far West, tracée au pastel. Ces maisons sur pilotis avec leur véranda confèrent à ce lieu de passage, une atmosphère désuète.

Je déniche une pension familiale à l’atmosphère chaleureuse puis cours vers les vestiges mayas de Cahal Pech, en haut de la colline au loin. Cette belle cité de la période tardive semble seule au monde en cette fin d’après-midi. La grande pyramide de pierre noire dort fièrement sous un ciel anthracite. Elle est entourée de quelques arbres que le vent du soir fait légèrement danser.

Je grimpe au sommet des marches géantes et contemple, de chaque côté, les places rectangulaires chargées d’histoires. Je suis seule dans la cité antique comme par enchantement. Le ciel fonce, la jungle devient inquiétante, un frisson me parcourt.

Après un temps de béatitude, je descends de mon perchoir, puis me place de l’autre côté face à la pyramide. Les marches obscures comme un escalier divin vibrent de secrets oubliés. Le monticule sacré m’apparaît subitement comme une tête de monstre qui n’attend que la nuit pour ouvrir sa terrible gueule.

Le jour décroît à la mesure de la densité du silence qui enveloppe tout.

Mon esprit vagabonde. J’imagine une foule indigène, parée de ses plus beaux apparats, réunie ici pour une grande cérémonie. Des cris d’oiseaux tropicaux rythment mon rêve. Je ferme les yeux, et m’abandonne.

Cette absolue solitude au cœur de 2000 ans d’histoire est un présent insoupçonné. Je ferme les yeux. Soudain alors que les lieux deviennent de plus en plus sombres, une immense boule de feu apparaît dans ma vision. Je garde les yeux fermés. On se croirait au centre de la terre tant la matière est en fusion. Etonnement l’image bouge et ce soleil brûlant se consumeen formant de magnifiques dessins. Cette fois, je ne rêve pas, je pénètre une autre dimension. Je le vois dans mon esprit. Mes yeux sont toujours fermés. Tous mes sens en éveil, autre chose de la « réalité » s’offre à moi.

L’astre en combustion irradie de puissance et ne cesse de se transformer comme un kaléidoscope manipulé par un génie.

Ici et là, des touches de jaunes apparaissent et étirent des lignes couleur feu et sang.Le mouvement est incessant, de création et de destruction, comme si des mandalas célestes se formaient sous mes yeux. Je ne cherche pas à comprendre, je reçois seulement l’étonnante vision qui m’inspire force et vitalité.

Doucement comme un soleil qui disparaît derrière la ligne de l’horizon, l’image se dissipe de mon esprit. Il me semble que l’esprit maya y soit pour quelque chose, cependant, je ne suis pas à la recherche d’une réponse.Avant de quitter les lieux sacrés, je touche de mes mains les pierres anciennes, admire encore les dégradés de lumière qui se dessinent sur les ruines muettes puis redescend la colline que la nuit vient caresser. Jamais je n’avais flirté avec tant d’ardeur avec l’invisible.

Dangriga

Le voyageur, un passeur entre les hommes

J’aime ces villes oubliées où il ne se passe rien, où les bâtisses limées par les saisons, poncées par les vents et l’écume éternelle ont eu jadis leur heure de gloire et dont il ne reste qu’à présent une insignifiante bourgade entre deux destinations. Dangriga fait partie de celle-là !

Une grève jonchée de bois de palmier en pagaille qu’il faut escalader pour se frayer un chemin, rien qui n’attire le regard si ce n’est ces deux coins d’ombres à l’abri de branchages face à l’eau vaseuse, presque floue. Plus loin vers l’embouchure avec le fleuve et près du petit pont qui relie le centre-ville, quelques cabanes de bois clair tiennent lieu de marché, où s’exhibent avec fierté des confections chinoises sous des battements ahurissants d’une musique de possédé. C’est peut-être là, dans ces endroits où il ne se passe rien que le voyageur peut prendre la mesure de son silence intérieur.

Un miroir avec une voluptueuse désolation qu’un immense vide caresse. C’est peut-être là, qu’il sentira frémir tout contre lui, les tourbillons du vent comme des milliers de papillons. Les exhalaisons de piments et de fleurs des tropiques lui rappelleront secrètement un amour éteint. Un regard candide, le fera imaginer dans la nuit, d’autres levés de lune. Les rires des enfants mariés à la mélodie des vagues résonneront avec grâce dans son cœur ouvert.

Ici, le temps ne sera plus en cage, prisonnier du frénétique tourbillon de l’existence, mais libre de danser à son rythme, au-delà de la houle et l’esprit humain.Il se promènera sans but comme un chien errant que personne ne cherche à retenir. Le voyageur plein de ses pérégrinations n’en saura que faire puis se laissera peu à peu gagner par cette lascive torpeur aux allures désinvoltes. Il marchera, le vagabond qui aura traversé le monde, sur le sable sans charme à la recherche de poésie, d’une beauté insaisissable, qui n’est pas écrite dans l’histoire.

Peut-être qu’alors, dans une ruelle décrépite, tannée de poussière, boursouflée de chaleur, sous la taule d’une échoppe insigne, il lui sera donner à voir un sourire magnifique qui l’envoûtera. Ou alors sur un bout de rive désenchantée, avec pour seule musique un cognement de barques, il fera la connaissance d’enfants à la peau tannée qui lui raconteront, par leurs acrobaties, les légendes de la terre.

C’est alors que le voyageur, le marin de l’invisible, le messager de l’ailleurs, décèlera que l’impalpable ne se capture pas. Il acceptera l’invitation de l’invisible qui apparaît et disparaît comme une lune capricieuse sous les nuées.

Il apprendra à se laisser traverser par la magie indéfinissable du monde dont le seul remède sera de reprendre la route.

Et d’escales en ports, de corps en baisers, au fil de ses millions de ruptures, d’adieux et d’oublis, le voyageur pourra accueillir sa propre humanité qu’il aura vue dans les regards et les hasards.

C’est ce que m’inspire cette escale sur ce bout de carte où seule la contemplation parait une réponse au désœuvrement. Il en est ainsi.

Fascinée par la somnolence torride, je déambule, légère comme une plume, sur la plage dénudée.Sur un tronc, je me pose et m’absente.

Des enfants habillés s’agitent dans l’eau verdâtre, s’éclaboussent de soleil. Excités par ma présence, ils m’attirent dans leurs pirouettes ruisselantes. Il y a des mains qui se frôlent aux douceurs de miel, des sons de voix rauques qui racontent la tendresse et aussi cette envie de partage qui allume le regard jusqu’aux larmes et qui ferait offrir le ciel pour chaque sourire.

Placencia

La pensée Toltèque

La péninsule s’étire entre la lagune et la mer des caraïbes, que le vent fouette.Quelques parasols de raphia se fondent aux palmes près desquelles dorment des transats décatis. Je me sens habitée d’une plénitude, une joie première d’exister. Mon souffle marié à celui du vent grimpe jusqu’au ciel. Je ressens cette impression d’unicité énoncé par les Toltèques. Dans le cœur nous possédons une flamme magnifique, un feu puissant qui purifie tout ce qu’il touche. Ce feu qui grandit, transforme le corps et l’esprit jusqu’au moment où cet amour se doit d’être partagé. Alors, les Toltèques mettent une part de leur amour dans chaque arbre, chaque fleur, chaque pierre. L’amour croît encore, ils deviennent un avec les océans, les rivières, et les pluies.Comme l’amour irradie, ils s’unissent à l’air et au vent, au soleil et aux étoiles. Mais l’amour ne fait que grandir. Alors, ils font un avec l’humanité. Et chacun devient une partie de tout. C’est de cette lumineuse chaleur qui brûle sans limite dont il est question aujourd’hui dans mon cœur, perdu au paradis.

Punta Gorda

Silence

Ici c’est le sud, la fin du pays, le bout du monde. Après il y a la mer immuable, infinie. Tout autour de cette pointe désœuvrée, on trouve une multitude de villages mayas qui vivent péniblement de récoltes et d’artisanat. La petite ville reflète d’ailleurs un brassage ethnique étonnant. Je prends le bus local, et m’aventure par les villages indiens à l’assaut de cités antiques. Proche des ruines mayas de Lim Ni Punit, cité de grande influence à l’époque, le sentier grimpe dans la jungle ensoleillée.Des femmes, le visage de sculptures de temple, parées de mille couleurs tressées, sont assises comme en conciliabule, les pieds dans la rivière, et frottent le linge de la semaine.

Une fillette, belle comme une petite déesse, prend ma main et m’entraîne. Elle porte un panier vide, attaché à la tête. En souriant comme une lune, elle me dit qu’elle vient de vendre des crabes à la ville et qu’elle s’en retourne chez sa mère.

Du royaume d’antan, une vue vertigineuse s’étend sur une nature sauvage ponctuée de montagnes.Au loin, un petit lac dort, encadré d’une extravagante verdure puis au fond du tableau, comme en mirage, de légers monts voilés de brume.

La cité et moi sommes seules encore une fois. Un oiseau jaune m’ouvre la voie sacrée et virevolte dans une danse rituelle. Il me semble, entre racines et tombes, entendre des battements d’ailes de papillons comme des tambours.Je savoure ce bain de fraîcheur, cet écrin mélodieux. J’imagine encore, y mêle mes rêves, puis m’en retourne. Les enfants du village me suivent des yeux jusqu’à ce que les palmes m’engloutissent et que le soleil me dévore.

A Punta Gorda, je regarde le jour mourir dans la mer. C’est la seule chose que l’on peut faire ici. Des bateaux attachés aux racines d’un arbre géant ont le nez dans l’eau. Dans une barque qui n’a pas quitté terre, je vois le monde s’offrir à la nuit. Le ciel moucheté de rose déteint sur les nuages et repend sur l’écume cristalline, son manteau de douceur.

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