Fragments d’une errance merveilleuse, COSTA RICA

COSTA RICA

La Fortuna

Vibrations volcaniques

La Fortuna est un lieu magique. Le village est cerclé par de magnétiques montagnes. Le puissant volcan Arenal crache une lave furieuse. Ce monstre s’étale au loin bordé d’une verdoyante nature. C’est le cratère le plus actif du monde.  Il m’apparaît que tout flamboie de jour comme de nuit. Sous le soleil, la verdure brille de mille feux et la nuit, la lave jaillit du cratère comme tombée du ciel.

Au détour d’un chemin, des singes s’agitent dans les frondaisons avec un incroyable raffut. Sur un flanc de volcan, il y a une époustouflante cascade qui chute dans un bassin azur entouré de roches noires. La beauté du lieu est éblouissante, une pureté s’en dégage, apaisante et divine. Sur le sentier qui dégringole vers la cascade, des familles de toucans aux couleurs éclatantes font leur numéro sur les plus hautes branches pour s’envoler dans les airs. Un beau matin, j’entreprends l’ascension du volcan jusqu’au cratère de Cerro Chato que des milliers de pluies ont transformé en lagune. Le chemin grimpe à l’assaut d’une forêt tropicale d’altitude, fraîche et sauvage. Le sentier qui mène au sommet, est traversé de grosses racines luisantes comme les marches infinies d’un escalier. Une verte lagune bordée d’arbres sombres attend le voyageur.

Une tranquillité d’avant la création, nous caresse après la longue marche. On se baigne dans la félicité. L’eau est délicieusement douce et d’une couleur de tableau. Une épaisse brume qui descend des montagnes, voile, ici et là, l’autre rive puis glisse sur l’eau. Je redescends le sentier qui débouche sur une vallée superbe que la pluie rend magique. Je rentre au village. La nuit tombe sans crier gare. Alors je m’aventure vers les sources d’eaux chaudes réchauffées par les flots de lave incessants. Ici et là des torches offrent une atmosphère d’un autre temps. La baignade est unique sous les étoiles et quelques gouttes de pluie. Cela s’apparente au paradis. Une énergie magnétique vous enveloppe comme une langue de brume.

Mes jours ici sont enchantés. Portée par le vent, offerte aux éléments.

Santa Elena

A la recherche de l’oiseau sacré

La route, du volcan Arenal, qui s’achemine vers la région de Monteverde, est époustouflante. Elle borde le lac du même nom que le volcan puis serpente vers d’étonnantes montagnes, extrêmement pures, exubérantes, fertiles. Malgré les cahots incessants, une vue infinie s’étire sur le lac. Ici et là, au gré des aléas du chemin, on trouve des lagunes perdues, des fermes agricoles, des forêts vierges.

Le paysage est absolument fascinant, sauvage, vert-acide. Je l’apprécie d’autant plus que le trajet est épouvantablement long. Le bus avance avec une telle lenteur entre les pierres et les nids de poules que je me demande si nous arriverons un jour.  La pluie vient avec force lorsque nous descendons la montagne vers la vallée précieuse de Monteverde.

Une impression de déluge me gagne au fur et à mesure que les trompes d’eau s’écrasent sur les vitres et annoncent une traversée de l’enfer. Nous finissons pourtant par arriver au village de Santa Elena. Le ciel se déchire avec la nuit. Je suis rincée au propre comme au figuré et m’écroule sans plus penser à rien. L’aube doucement m’éveille pour de nouvelles aventures : découvrir les forêts tropicales d’altitudes à la faune et flore exceptionnelles. La réserve naturelle de Monteverde est une jungle de montagne pleine d’ombre et d’oiseaux où des sentiers dansent dans une impossible végétation. J’apprends que le quetzal, l’oiseau sacré des indigènes, se cache quelque part, au hasard des branchages, dans la forêt sauvage. Les Aztèques le vénéraient comme un Dieu et considéraient son apparition fortuite comme un présage heureux. On me dit cependant qu’en cette saison, l’oiseau royal a émigré vers de plus chaudes contrées. Je suis déçue par cette nouvelle mais espère, en secret, croiser la route de l’oiseau rare dont les rois revêtaient le plumage. L’heure est claire et je suis seule dans l’immensité verdâtre. J’emprunte un chemin qui forme une grande boucle.

Le silence est habité de mille bruits oniriques. Des branches comme des larmes, semblent se réveiller d’un long sommeil lorsqu’un rayon de soleil traverse les frondaisons épaisses et caresse la douce obscurité On dirait de lugubres monstres aux pattes innombrables dont des lianes s’échappent comme des lambeaux de peau. Pourtant, ce tableau est d’une beauté lyrique. Une force indicible s’en dégage et colore l’air vibrant. Le silence est pétillant de chants saugrenus et de cris soudains. Je m’arrête un instant, interdite, comme interpellée par l’invisible, puis continue ma route que des cours d’eau, traversent. Sur un morceau de bois, je me pose et contemple ce fourmillement radieux, le fouillis des branchages, l’air velouté du matin, le tressage des racines, la rosée qui dégringole de palme en palme.

La forêt m’apparaît sous son allure mystique. Des oiseaux noirs et brillants fendent l’air et s’engouffrent dans les profondeurs ténébreuses. Ma solitude n’est qu’apparente. Je sens le cœur puissant de la terre respirer dans un tremblement de silence et de paix. Je me laisse enivrer par les odeurs acres, la majesté de la forêt, la danse des feuillages. Soudain, le chemin sort de la densité noirâtre et s’ouvre sur une vue féerique. Des reliefs purs frissonnent sous la brume qui naît au bout de l’horizon. Lentement, de façon imperceptible, un voile blanchâtre recouvre les montagnes comme le fait une tempête de neige en altitude. On dirait une estampe chinoise, voluptueusement mélancolique. Le paysage, après avoir éclot comme une fleur, disparaît tout à fait dans un tourbillon laiteux. Je continue mon chemin, marche sur de gigantesques racines, rencontre quelques chenilles, et respire à pleins poumons.

Mon cœur se met à battre. Soudain, un puissant bourdonnement m’entoure pour disparaître aussitôt. Serait-ce le resplendissant quetzal aux longues plumes colorées ?

Je m’immobilise, et comme par enchantement, découvre une tribu de colibris aux couleurs éclatantes qui sillonnent les airs. Ils s’arrêtent en plein vol pour butiner des fleurs sucrées et repartent, je ne sais où, à la vitesse d’une fusée. Je suis fascinée par ces oiseaux miniatures au pelage vert d’eau et mauve qui frôlent mon corps avec insouciance dans l’immensité parfumée. Mais en réalité, j’attends le quetzal, qui ne viendra pas aujourd’hui mais que j’espère un jour prochain.

Santa Teresa

Peintures de femmes

A Santa Teresa, il y a aussi Marguerite. C’est la première personne que je rencontre ici, dans ce village perdu au bord de l’océan où l’écume et la brume s’épousent dans le lointain. Marguerite est blonde comme les blés, belle comme un soleil et m’attendait sans le savoir. Elle tient le café Baraka. Elle y expose aussi des peintures de corps féminins multicolores et naïfs qu’elle fait naître sur des palettes que la mer recrache et abandonne au sable. Ses œuvres tremblotent dans le vent, accrochées comme les tablettes à prière des pagodes asiatiques.

Ses figurines sont d’une minceur extrême, d’une perfection esthétique de magazine, en auto portrait, elle est taillée comme un modèle. La connexion est immédiate comme souvent dans les grandes amitiés. Une alchimie miraculeuse nous fait nous comprendre dès les premiers instants. Et aussi pour toujours. Au fil des jours, c’est chez elle que je viens écrire. Son lieu m’inspire mais aussi sa rayonnante présence comme une partie de moi-même, retrouvée après une longue errance.

Parfois, elle m’invite dans son atelier. Elle peint sur un bout d’arbre, une femme entourée de fleurs joyeuses alors que j’écris quelques lignes, un bout d’histoire ou une romance. Des vibrations nous caressent, les anges de la création flottent dans les airs, et nous unissent. Il me semble presque les voir au détour d’un sourire, d’un jet d’encre ou d’un coup de pinceau. Lorsque j’écris, Marguerite s’agite, elle bouge avec grâce de son long corps, comme une liane, ses cheveux clairs dansent comme l’écume. Elle vit presque nue, parfaite et transparente comme mariée aux éléments. Nous éclatons de rire. Parfois, après une déambulation sur la plage infinie, j’ai soudainement envie de parler à Marguerite, la magie inexplicable des rencontres. Les heures défilent comme un rien autour d’un thé fumant où la vie se raconte, de chagrins en amours. Ces instants, chacun en conviendra, valent tout l’or du monde. Il est tellement naturel d’être là, un rire dans la voix, à deviner une révélation, comme si l’âme venait à naître. Chaque soir, nous parlons de nous autour d’un verre. Ce quotidien est d’une richesse inouïe et nous offre des forces. Les jours qui passent sont des alliés qui nourrissent avec intensité notre rencontre. Une nuit, ma déesse m’offre une peinture. C’est une femme avec des formes. La seule qu’elle n’ait jamais peinte. La figurine me ressemble. Elle dit que c’est moi. C’était avant de me connaître. Elle dit que c’était le destin. Quelque part sur une péninsule, mon exil n’est que beauté.

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