La réserve Tara au cœur de la forêt serbe

La réserve Tara

Une insolite aventure un jour de pluie

Je quitte Mokra Gora tôt le matin sous la pluie battante. Mes hôtes sont déjà levés et m’embrassement chaleureusement comme si j’étais leur fille. Je les quitte le cœur un peu serré, surtout que mon transport du jour pour me rendre au Parc National de Tara me paraît plus qu’aléatoire. Il n’y a bien entendu aucun bus direct jusqu’à la réserve naturelle. Elle s’étale sur un vaste périmètre à l’Ouest de la Serbie, à la frontière bosniaque et regorge de beautés préservées. Mes hôtes m’ont fait comprendre à l’aide de Google translate qu’il y avait qu’un seul bus de bonne heure le matin en direction d’Užice, la bourgade régionale. Cependant, je dois descendre à un croisement, au hameau de Kremna, dont une route rejoint Tara. Je les quitte à regret et me place sur la route bitumée. Tandis que j’attends le bus qui semble tarder, la pluie s’épanche intensément sur le paysage fermier et les charmantes maisons de bois. Une légère angoisse me traverse. Mais, le bus arrive enfin. Le chauffeur semble étonné que je désire descendre au carrefour avec la réserve Tara, car il sait qu’il n’y aucun transport public. Comme pour me motiver, je lui fais signe que je ferai du stop, afin de me rendre aux villages de montagne du Parc National. Cependant, durant tout le trajet, une légère angoisse me traverse. Les larmes des cieux ne semblent pas se calmer, au contraire, elles s’épanchent avec une effroyable virulence sur la verte vallée et ses montagnes boisées. Que va-t-il se passer pour moi, à la jonction, sous l’averse qui annonce les prémices de l’automne ? Le bus fait halte à ce hameau désert, où seul un café au bord de la route semble recéler une animation matinale. Je commande un thé à la menthe dans l’espoir de reprendre mes esprits. En respirant profondément, j’envoie à l’invisible des prières de protection. Avec ardeur, je demande à l’univers de m’envoyer un chauffeur, qui aurait l’extrême gentillesse de m’accompagner à mon gîte se trouvant près du village de Kaluderske Bare, en plein cœur de la forêt. Plus que jamais, j’ai besoin du soutien de mes guides et anges gardiens pour m’aider à sortir de la situation inconfortable dans laquelle je me retrouve. Lors d’une surprenante accalmie, je me dirige ainsi vers le croisement, armée de courage et dotée de patience. Mais dès que je me place au carrefour, la pluie diluvienne se déverse à nouveau sur le décor telle une longue plainte larmoyante. Je parviens alors à protéger mes sacs sous une tonnelle de bois utilisée par les marchands de produits régionaux, cependant il m’est impossible de m’abriter, si je désire être visible pour faire de l’autostop. Avec humour, je me dis que vraiment la situation est énorme et ne peut être pire. Mais je tente malgré tout de rester très positive, en envoyant mentalement de l’énergie lumineuse autour de moi, afin d’attirer la bonne personne qui saura me rendre le merveilleux service de me déposer au le Parc National. J’attends sous la pluie. Aucun véhicule en vue. J’attends encore. La pluie commence à me mouiller. Mon anorak est trempé. Le vent se lève. J’ai un peu froid. J’ai envie de râler ou de me plaindre, mais je me retiens. Puis, une série de voitures s’engouffre à grande vitesse sur le rond-point et file sans s’arrêter vers la réserve. Je les comprends. Une personne qui fait de l’autostop tôt le matin, avec ses bagages sous un ciel d’orage, doit être un peu louche. Quatre voitures, cinq voitures, dix voitures. Personne ne s’arrête ! Je suis trempée. Je réalise que la fermeture-éclair de mon anorak s’est pétée. Je deviens ruisselante. Bon ! là je commence à en avoir marre. Carrément absurde la situation ! J’aurai mieux dû réserver à l’avance un taxi à Mokra Gora, même si cela devait me coûter 50 euros ! Je désespère. Envie de lâcher l’affaire, d’annuler mes nuits dans la forêt et de repartir en sens inverse pour la Bosnie. Par si mauvais temps ce serait plus sage au lieu d’insister pour faire du trekking dans la montagne. La pluie m’arrose encore. Le temps passe affreusement lentement. Vingt voitures. Toujours rien. De vieux chauffards me font des signes qu’ils s’arrêtent ici et ne poursuivent pas la route jusqu’à la réserve naturelle. J’ai envie de pleurer mais cela n’arrangerait pas les choses. Dans un élan ultime, je demande à l’invisible et aux êtres des dimensions angéliques de me venir d’urgence en aide, ici et maintenant, tout de suite. La requête est simple : qu’une voiture s’arrête immédiatement et me dépose à bon port. Mais surtout que le conducteur soit une personne aimable et compassionnelle. Surgit un défilé de camions sur la départemental. Je retire alors mon bras, car je ne me sens pas de monter à bord d’un camion. Je crains de tomber sur un conducteur lourdaud. Il pleut alors de plus en plus fort. Je m’enveloppe d’un œuf de lumière et attends tout sourire que mes vœux in extremis soient exaucés. Soudain, une petite voiture de location, qui fait des va et vient entre la route principale et la bifurcation, s’arrête enfin à ma hauteur. Un touriste indien m’invite aimablement à monter dans son véhicule, avec tous mes bagages. Il s’adresse à moi dans un anglais parfait à l’indienne, avec un fort accent à couper au couteau. Il m’explique qu’il est en transit quelques jours en Serbie, entre l’Inde, son pays natal et l’Arabie Saoudite, où il travaille. Il me précise qu’il vient de Mokra Gora, où il a fait l’attraction du train à vapeur et qu’il rentre à l’hôtel à Belgrade. Cependant, il hésitait sur les destinations à découvrir en chemin. Il pensait faire une virée en bateau sur la rivière Uvac, mais comme il pleut, il a changé d’avis. Puis, il a vu le panneau indiquant la réserve Tara. Il s’est dit alors que cela devait sans doute être magnifique, même par gros temps. Alors il a fait alors demi-tour et m’a vu au croisement. Eblouie, je m’écrie que c’est incroyable et le remercie avec une exaltation démesurée. Soulagée, je lui confie que j’ai lancé des énergies positives à l’univers pour que la vie me vienne en aide. Eclatant de rire, il me confie, les yeux brillants, que c’est Dieu qui l’a envoyé sur ma route, afin de me secourir. Amusée, je lui réponds que je crois profondément aux synchronicités. Elles surgissent sur notre route lorsque l’on est relié à son être intime, ainsi qu’au cosmos et porteur d’un message à offrir ou d’une mission à accomplir. L’univers entier aspire alors à nous soutenir et à nous ouvrir des passages secrets ou des voies royales, selon la situation dans laquelle nous nous trouvons. D’un air jovial, il m’affirme qu’il me reçoit cinq sur cinq, car nous sommes sur la même longueur d’onde. J’éclate de rire et lui confie que la vie est un miracle ! Touchée par ma remarque, il me raconte qu’il a étudié les textes sacrés en sanscrit datant de 6000 ans, les Upanisads, ainsi que les recueils tantriques d’une haute spiritualité contenant les plus grandes pensées philosophiques que la terre n’ait jamais portée. Troublée par notre étonnante rencontre, je me dis que le jeu divin de l’existence baigne à chaque instant en un océan de mystère. Et que la magie céleste ne cesse d’organiser nos vies ainsi que nos destinées. Mais encore faut-il y croire, afin que la féerie soit en mesure de planter son décor et de dérouler son scénario fou, permettant ainsi à d’extravagants personnages d’y jouer un rôle inoubliable. Après cette puissante entrée en matière, nous nous présentons. Le conducteur s’appelle Alok. Il vient du Cachemire dans le Nord de l’Inde. Je le regarde ahurie. Il m’apparait soudain fantastique de rencontrer un voyageur indien, sur une route déserte, aux abords d’une immense forêt, au pied des montagnes de l’Ouest de la Serbie. Comme enivrée par l’infinie imagination de la vie, je me mets à glousser toute seule, tandis que mon coéquipier me parle des mondes sublimes du royaume de la Conscience. Je n’en crois pas mes oreilles. La vie est une danse ivre sur les vagues du monde. L’existence est un jeu léger, teintée de goûts sucrés et pimentés. Mon esprit plane encore un peu dans les sphères invisibles, puis revient sur terre. Je demande alors à Alok où il se rend. En souriant, il me dit qu’il n’en sait rien, qu’il m’accompagne d’abord à la guesthouse dans la forêt, puis qu’il avisera. En route, nous bavardons chaleureusement de nos vies incroyables. Mais au gré des hameaux, nous cherchons notre chemin. Nous trouvons enfin le village de Kaluderske Bare, puis le sentier forestier qui conduit au plateau verdoyant, où se trouve le chalet dans les bois qui me servira de maison nomade. D’immenses pins parfumés entourent la demeure montagnarde, ainsi que d’autres chalets qui composent le hameau blottit au cœur d’une pure forêt d’altitude. En ce lieu idéal, émue, le cœur aux nues, j’envoie en pensée une immense gratitude de rencontrer un tel paradis terrestre. Je descends de voiture et pénètre dans le chalet rustique. Un jeune homme m’accueille tout sourire, m’invite à déposer mes bagages et me fait un point sur les merveilleux joyaux que recèle la réserve Tara, le plus belle des Balkans. Passionné, il m’informe qu’elle est immense et qu’elle regorge de sentiers forestiers, de rivières, de lacs, de canyons ainsi que d’une faune et d’une flore à la richesse exceptionnelle. Il précise qu’on y trouve une grande variété d’espèces végétales comme animales. Car il y des millions d’années ces montagnes aux silhouettes particulières étaient recouvertes d’une mer, disparue depuis. Au sein de cet espace de montagnes verdoyantes, il y a encore des ours bruns, des chamois qui gravissent les pics impraticables, ainsi que des aigles qui survolent les sommets étourdissants. Il y a aussi des loups et des lynx qui cheminent secrètement dans les forêts touffues de la réserve Tara, ainsi qu’une multitude d’oiseaux rares. Vibrante, je lui confie que je suis si heureuse d’être ici, au cœur d’une nature spectaculaire, symbole de l’essence originelle de la vie. Il me précise que je ne suis pas au bout de mes surprises. Nous nous sourions avec tendresse. Je retrouve Alok et lui demande ce qu’il désire maintenant faire. D’une patience d’ange, il me lance avec douceur qu’il aimerait prendre un café au village, car il lui a beaucoup plu tout à l’heure, en passant devant en voiture. Nous roulons ainsi en voiture jusqu’au village et nous installons à la terrasse d’un café. Nous décidons enfin, ravis de notre rencontre fortuite de poursuivre en voiture la visite du parc. Nous partons ainsi à l’aventure à travers l’impressionnante réserve Tara. Sur une route qui longe d’étourdissants reliefs, de vastes panoramas s’ouvrent devant nous. Des dégradés de reliefs montagneux se dessinent des plus hauts sommets de Serbie. Ils semblent s’étirent par-delà le regard, loin vers l’horizon en un océan dentelé de pics et de vallées, dont la beauté est à couper le souffle. La route serpente alors près de profonds canyons dans le creux desquels reposent des villages traditionnels. Au bord de l’asphalte qui conduit à la bourgade de Bajina Basta, des maisons d’un autre âge s’érigent à la porte du vide. De vieux camions datant du temps de la Yougoslavie reposent près de poulaillers ou de tas de foin. Le ciel couvert s’ouvre enfin, libérant de chauds rayons solaires sur ce paysage époustouflant. L’humeur est à l’allégresse. Nous faisons halte au magnifique monastère de Raca qui date du 12ème siècle. Posé en un écrin de verdure au fond d’une vallée encaissée depuis de nombreux siècles, ce lieu sacré orthodoxe dégage une paix délicieuse. A l’intérieur de l’église des fresques colorées relatent l’histoire religieuse d’un style naïf. Une tour carrée s’érige près de l’église orthodoxe dans la verte vallée cerclée de montagnes. Nous infusons quelques temps encore au cœur de ce décor mystique, puis reprenons la route jusqu’à la célèbre rivière Drina. Elle marque la frontière avec la Bosnie. Elle s’épanche, large et paisible le long de rives marécageuses, foisonnantes de verdure. Nous faisons alors escale dans un restaurant près de l’eau, afin de grignoter une salade et un jus de myrtille, très fameux dans la région. Et découvrons, ébahis, le décor majestueux qui nous entoure. Au beau milieu de la rivière, une cabane de pêcheur s’élance comme plantée sur un gros rocher, entourée d’eau. L’image est insolite et relève d’une grande originalité. Des familles de cormorans viennent se poser sur les cailloux des berges sablonneuses après avoir survolé les eaux poissonneuses. Nous rejoignons le bord de l’eau, qui abrite quelques barques colorées. Un pêcheur nous propose de nous conduire à la maison du rocher, l’image d’Épinal. Après une courte balade sur la rivière qui sépare la Serbie de la Bosnie, il nous invite à découvrir sa cabane, devenue une célébrité. Sur une petite terrasse qui surplombe la Drina, nous nous prélassons au soleil, face à ce paysage sauvage laissé à l’état brut. Ici et là, près des rives caillouteuses, des hérons vont à la pêche aux petits poissons. Sur les murs extérieurs de la cabane, de veilles photographies en noir et blanc racontent l’histoire inouïe de ce petit musée flottant. Le capitaine du bateau nous explique que la cabane fut construite il y a plus de plus de cinquante ans, mais qu’elle fut détruite, à plusieurs reprises, lors de fortes montées des eaux lors de la saison hivernale. Depuis, elle fut fortifiée et agrandit. Aujourd’hui, l’excentrique cabane ne sert plus pour la pêche, mais plutôt à accueillir les visiteurs pour une courte halte. En effet, les touristes sont toujours étonnés par une telle curiosité, une maisonnette perchée sur un rocher au beau milieu d’une rivière frontalière. Du balcon de bois, j’embrasse encore la vue surprenante qui s’étire sur les eaux onctueuses de l’ample rivière sillonnant entre deux pays. Des brumes translucides s’étalent à l’horizon en une clarté solaire. Sur les berges vierges, une végétation première scintille de soleil. Les grands cormorans traversent joyeusement la rivière, indifférents aux règles humaines. Je remercie la vie pour cette journée ensoleillée au parfum de magie. Mon nouveau camarade est lui-aussi ravi de cette journée imprévue, où des surprises ne cessent de surgir sur sa route. Réjouis, nous nous remercions pour l’aventure qui nous été donnés à vivre. Puis, reprenons la route en sens inverse. Alok me dépose alors dans mon village de forêt, avant de poursuivre jusqu’à Belgrade. Une grande accolade tendre en guise d’adieu, en nous souhaitant le meilleur. La vie est vraiment une divine épopée.   

Un nomade à l’âme vagabonde

Je rentre enfin dans ma maison dans les bois. Aux abords de l’immense forêt, de grands pins d’une hauteur considérable sont disséminés autour du chalet de montagne, dans lequel j’ai la chance de loger. Comme la saison d’été vient de se terminer, je dispose des lieux pour moi toute seule. Je les partagerai cependant avec le garçon qui m’a accueilli ce matin. Il s’appelle Alonso. Il est aussi touriste, Américain. Il voyage grâce au site Work Away, ce qui permet aux jeunes du monde entier de découvrir d’autres continents, pays ou cultures, en offrant quelques heures de travail en échange du gîte et du couvert. Nous nous installons ainsi dans les hamacs accrochés aux arbres devant la maison. Et faisons connaissance. D’une énergie radieuse, Alonso me raconte comme il a quitté ces terres natales, afin de découvrir les Balkans. Un périple de plusieurs mois avec très peu d’argent en poche. Ainsi dans chaque pays, il trouve un emploi dans un site qui l’attire et s’y installe pour plusieurs semaines. Comme ici, dans les profondeurs de la réserve de Tara, qu’il trouve sublime. D’un ton enjoué, il s’amine d’une lumière solaire. Et me raconte comment la vie lui sourit, depuis qu’il est ouvert à l’aventure. Vivre en plein cœur d’une forêt d’une richesse inouïe était pour lui un grand rêve. Cela lui rappelle le film Into the Wild, qu’il l’avait fait vibrer au plus haut point. En éclatant d’un rire juvénile, qui traduit la pureté de son cœur, il aspire bien entendu à un destin moins tragique que le héros du film.  Le personnage partit à l’aventure trop loin dans les forêts impénétrables peuplées d’ours s’empoissonna avec des baies sauvages qui ressemblaient à des fruits rouges. Cela lui plaît profondément à notre voyageur de cheminer en s’intégrant à des endroits de prédilection. D’ailleurs, il précise qu’ils resteront à jamais gravés dans sa mémoire. Ici, il gère la guesthouse, le propriétaire étant en vacances à la mer au Monténégro, à l’instar de nombreux serbes après la saison intense de l’été. Alonso y fait ainsi de magnifiques rencontres avec les locaux, entre en lien avec la culture des montagnes et y découvre des traditions et des coutumes. Enfin, il reprendra la route inévitablement après quelques semaines, traversera la Bosnie, visitera quelques villages avant de se rendre en Croatie, où un nouvel emploi bénévole l’attend. Les yeux brillants, il me confie qu’il travaillera alors dans une ferme agricole bio, où une famille y vit presque en autarcie. Passionné, il poursuit le récit de ses péripéties initiatiques. Partout où il vagabonde, le cœur léger, il se sent en harmonie avec le monde, les personnes qu’il croisent sur sa route ainsi qu’avec les lieux qu’il découvre. Il chemine au gré du vent, accueillant tout ce que la vie lui offre comme un présent inestimable. D’un sourire irradiant, il me confie que ces folles pérégrinations sont faites d’incroyables coïncidences, de synchronicités troublantes, ainsi que de rencontres humaines très fortes. Ce voyage représente pour lui une porte symbolique qui s’ouvre dans sa vie, comme si tout n’était qu’une question d’intention, de vibration, d’énergie. Doucement, il m’avoue qu’il n’en est pas à son premier voyage. En effet, il qu’il déjà fait un grand tour d’une année en Asie du Sud-Est, dont plusieurs mois en Thaïlande et à Bali, en tant que professeur d’anglais pour enfants. Une expérience inoubliable qui l’a enchanté plus que tout au monde. Des sourires s’échangent entre nous d’une grande fréquence vibratoire. Eblouie, je le contemple avec une immense tendresse. Pour son âge, la sagesse incarnée qui se dégage de lui est étonnante. Je plonge quelques instants dans ses yeux rieurs, lucarnes d’une vieille âme revenue sur terre pour de nouvelles explorations. Attendrie, je ressens qu’il n’en est pas à sa première incarnation, au regard de la grande conscience qui émane de lui. Touchée par le récit de ses extraordinaires péripéties, je lui demande si son cercle d’amis ainsi que sa famille le comprennent. Avec clarté, le jeune homme me répond que ses parents ont eux aussi parcouru le monde, travaillant maintenant dans les services sociaux, afin de venir en aide aux plus démunis. Cependant, ses amis de faculté semblent bien différents de lui. Leurs priorités ne correspondent pas aux siennes. A 25 ans, ils semblent déjà suivre l’itinéraire tout tracé d’une réussite sociale, dont les codes marquent les jalons d’une existence programmée et pleine de compromis. D’un sourire empreint d’une certaine tristesse, Alonso me révèle que certains de ses anciens camarades de classe pensent davantage à « ce qui est fait bien sur le papier » qu’à vivre des expériences profondes comme personnelles. Il m’avoue qu’ils préfèrent construire leur carrière selon un schéma classique, se concentrant plutôt sur leur Curriculum Vitae que sur un voyage, l’apprentissage d’une langue ou d’un art. Certains pensent déjà à se marier et à faire des enfants et font des prévisions sur leur salaire et même sur leur retraite. Avec une douceur pourtant teintée d’une grande fermeté, il me confie qu’une existence comme celle-là n’est absolument pas pour lui. Il préfère mille fois explorer l’existence au travers de différents emplois, cultures et rencontres. Mais surtout de prendre le temps de vivre et d’évoluer près de la nature. Relié à la source mystérieuse de son être, il désire suivre encore le flow merveilleux de sa destinée. Elle semble le porter telle une graine par le vent vers des révélation insoupçonnées et d’authentiques réalisations. D’un sourire amusé, il poursuit le récit de son histoire. Lorsqu’il annonça à son entourage son départ dans les Balkans, ses amis lui répondirent : « Mais pourquoi donc pars-tu maintenant et surtout pourquoi là-bas ? D’ailleurs où donc se trouve ce pays des Balkans ? Et que feras-tu à ton retour ? As-tu pensé à ta carrière ? « 

Nous éclatons de rire. Une complicité en miroir se tisse entre nous. Chacun de ses mots résonnent au fond de mon cœur. J’imagine que de nombreux voyageurs se sont heurtés à une incompréhension de la part de leurs proches, quant au sens de leurs pérégrinations nomades. Avec sagesse, je lui réponds qu’il est impossible d’entrevoir la puissance de ces parcours initiatiques, révélateurs de l’âme, pour ceux trop enracinés dans la matière. Malheureusement, ces derniers ne jurent que par le concert, ne ressentant pas les bienfaits spirituels de l’aventure, des expériences et des rencontres fortuites. Un silence vert s’immisce entre nous. Les brumes de la fin du jour glissent avec une délicatesse silencieuse sur le faîte des grands pins, puis enveloppent doucement la forêt, ainsi que les chalets de bois des alentours. Les cris d’oiseaux rares et de chiens errants se superposent au crépitement d’une légère brise, annonciatrice des prémices d’une averse d’automne. Nous retrouvons alors chacun notre solitude heureuse. La nuit survient en un dégradé d’ombres chatoyantes. Une nuit de montagne, très noire et froide, où il fait bon se retrouver près d’un poêle à bois dans une cabane bien chauffée. Un intense silence m’enveloppe, traversé ici et là par les bruits nocturnes du vent ou des animaux de la forêt. Avec une aisance fluide, face au miroir de mon âme, j’écris, reliée à la Conscience Universelle. Puis m’endors d’un sommeil de mille ans, comme une fée des bois. Réveillée avec le jour, je sors à l’aube claire dans le jardin scintillant de rosée fraîche. Un écureuil brun est occupé à glaner des bribes de nourriture sous les épaisses écorces d’un grand pin. Il s’agite avec une ivresse touchante, sillonnant de haut en bas le fin tronc de l’arbre noble. Puis, c’est au tour d’un oiseau d’entrer en scène et de piquer de son bec le tronc d’un mélèze. Un vent humide fait danser les feuillages des arbres aux portes de la forêt sauvage. Une énergie subtile s’allume soudain. Elle semble m’inviter à visiter cet océan de verdure, géant et méconnu. Afin de démarrer ma journée dans l’enchantement le plus parfait, je médite face à un vieil arbre, solide et sage. Des énergies régénérantes émanant du champ électromagnétique de l’arbre se diffusent alors autour de mon aura. Elles semblent purifier mes corps énergétiques ainsi que mon corps physique. Je reviens enfin à moi, ressourcée comme jamais. Je retrouve Alonso. Le jeune homme s’éveille à peine. D’une extrême gentillesse, il me propose de m’accompagner pour une belle balade, au cœur de la forêt endémique. Généreux, il m’invite à effectuer une boucle d’une dizaine de kilomètres sur un sentier fléché à travers les bois. Je lui souris, aux anges. C’est exactement cela qui me fait envie. Plonger dans les épais silences d’une foisonnante forêt et y humer les parfums de ses multiples mystères. En écho à notre humeur allègre, les rayons d’un doux soleil se mettent à éclairer les sapins qui bordent le sentier forestier. Nous empruntons alors le chemin qui conduit vers les méandres des profondeurs vertes. Il longe d’abord les chalets disséminés sur le plateau en pente pour s’enfoncer en une plaine marécageuse, que des ponts de bois traversent avec une élégance photogénique. Puis, il sillonne près d’une rivière que nous traversons à plusieurs reprises, au gré de berges marécageuses avant de s’enfoncer dans les profondeurs ténébreuses de la forêt séculaire. Le sentier aux parfums de pins serpente à travers une marée d’arbres alpins géants. Ils s’élancent vers les nuages avec une rectitude superbe et fascinante. Ces sapins très élevés et ces pins majestueux, dont certains sont âgées de deux ou trois siècles, crèvent les cieux de leur insolite présence. Nous cheminons, le cœur allègre, sous de flamboyants mélèzes et d’imposants hêtres d’une hauteur étourdissante. De délicieuses fragrances de bois éveillent nos sens et colorent la balade d’une once de sensualité. Nous parlons peu et nous laissons pénétrer par l’absolue féerie de la forêt de légende. Elle rayonne d’une majestueuse noblesse et d’une splendeur incomparable. Au fil de la marche, il me semble infuser en un bain de senteurs inspirantes. Elles m’invitent à ouvrir mon cœur à la magie de la nature et à son indémêlable mystère. Parfois, le sentier recouvert d’un lit de feuillage aux couleurs chaudes d’automne grimpe à l’assaut d’une colline boisée d’une impénétrables végétation. Puis, il débouche sur une clairière ensoleillée à la croisée des chemins. Plusieurs sentiers de randonnée s’étirent alors en toutes directions vers d’opaques forêts. Ils invitent ainsi à la découverte silencieuse des merveilles que recèlent le Parc National de Tara. Nous prenons un temps pour nous prélasser au soleil sur des rochers entourés de hautes herbes jaunes, avant de nous enfoncer à nouveau sous une allée ombragée. Tapissée de branchages et de feuillages, le sous-bois fascinant nous invite vers l’inconnu. Le sentier gravit encore une colline puis glisse des hauteurs en un chaos de cailloux et de feuilles d’automne. Il s’achève alors sur une prairie. Une espèce endémique de violettes y pousse avec un charme originel. A plusieurs reprises, le chemin suit de hautes falaises entourant de vertigineux précipices. Des panoramas magnifiques s’étalent alors sur la vallée de la bourgade de Bajina Basta, bordée de monts verdâtre et étincelante de soleil. Perchés sur la pointe d’une avancée rocheuse, nous contemplons la vallée lointaine. Elle accueille ainsi la ville en un écrin de reliefs verts. Ici et là de petits villages dorment sur des monts luxuriants, à quelques jets de pierre d’une route asphaltée. Plus loin vers l’horizon, un dégradé flouté de sommets évanescents noyés de brume semble s’évaporer dans le ciel drapé de ouates cotonneuses. Juste en dessous du promontoire où nous nous trouvons, un orchestre de roches pointues s’érige en contrebas avec un esthétisme captivant. Le soleil illumine alors ce paysage hypnotique, qu’il est difficile de quitter du regard. Je prends soudain conscience de mon souffle qui me traverse, du vent qui me caresse, afin d’absorber la quintessence de la beauté qui s’offre au regard. Un vertige me saisit, celui de faire partie de ce décor et d’en boire son extatique essence. La boucle s’achève ainsi au sortir de la forêt, sur le chemin d’un hameau voisin bordé de maisonnettes montagnardes et charmantes. Près d’un monastère au jardin fleuri, la route bitumée nous conduit à Kaluderske Bare, notre point de départ. De retour dans notre cabane nomade, je remercie Alonso de m’avoir fait découvrir les joyaux de la forêt enchantée. Elle semble nous avoir ressourcée en profondeur. Nous nous enlaçons. Et nous nous prions mutuellement de rester tels que nous sommes, de pures nomades à l’âme d’enfant, dont rien ne parviendra jamais à ternir le trésor intérieur. Puis, nous nous souhaitons un merveilleux voyage, parsemé des cadeaux de l’errance.

Une rencontre magique en pleine forêt

Le lendemain matin, je pars de bonne heure pour une nouvelle aventure dans la réserve Tara. Je désire me rendre à Mitrovac, un village lové en pleine forêt, situé entre le lac Perucac, au sortir du canyon de la Drina et le lac Zaovine, la perle du parc à la parfaite beauté. Le temps est couvert et une fine pluie inonde le décor forestier. Je prends mon courage à deux mains pour quitter ce lieu magique et m’acheminer vers un autre site de la réserve Tara. Je comptais faire du stop mais j’y renonce, car en ce lundi matin de fin de saison très peu de voitures se rendent à travers la montagne vers le village de Mitrovac. La pluie se met à ruisseler de plus belle sur l’univers verdâtre alentour. Les marchandes de produits régionaux bavardent devant leurs cahutes de bois. Elles attendent les rares clients qui quittent les lieux en ce début de semaine, susceptibles de leur acheter des confitures locales ou de l’eau de vie artisanale. Comme il n’y encore personne dehors, je vais à leur rencontre et leur demande d’appeler un taxi pour ma prochaine destination. Tandis que j’attends le chauffeur, nous bavardons joyeusement, malgré la pluie qui glisse sur le décor détrempé. Spontanément, elles me proposent de déguster un shot de rakia, afin de trinquer ensemble, comme le veut la coutume. Une des dames me sert aimablement un petit verre d’un alcool fort et fruité. Il purifie le corps au réveil, selon les dires de ces artisanes joviales. Nous rions de bon cœur, trinquons puis laissons glisser le liquide brûlant dans nos gorges secouées. Nous nous quittons chaleureusement à l’arrivée du taxi. Il m’emmène alors jusqu’à Mitrovac sur une route désertée qui serpente à travers la montagne noyée. Il me dépose alors après le village au gîte Mystic River, que l’on rejoint au bout d’un chemin de terre. C’est une adorable maisonnette turquoise, cerclée de verdure. Malgré une épaisse brume inondant le paysage, un charme irrépressible se dégage de la petite clairière. Elle abrite quelques chalets dominant la route qui mène au lac Zaovine. A l’intérieur, un décor de bois me rappelle le chalet de montagne de mon enfance. La Maison Bleue était lovée en une abondante vallée, traversée d’une rivière entre les montagnes de l’Ain et du Jura. Les propriétaires m’installent alors comme à la maison. Un feu de bois crépite dans un poêle anthracite. Des tapis et des coussins aux motifs folkloriques décorent le mobilier avec un charme traditionnel. Ma chambre est dotée d’anciens meubles de bois selon les coutumes de la région. Une table basse et de petits tabourets faits main rappellent le mode de vie du siècle dernier des habitants de ces montagnes reculées, à la frontière avec la Bosnie. Tout est bleu, d’une teinte outremer profonde. Il me semble plonger en une période bleue, à l’instar des grands peintres. J’exulte de joie à l’idée de vivre dans une maison typique. Elle déjà et attise mon imaginaire d’épices exaltées. Dehors le ciel semble s’ouvrir et laisser passer les rayons blancs d’un soleil d’automne. L’air pur des montagnes m’appelle de son parfum forestier. Je sors alors sur la route bitumée et marche en direction du lac Zaovine. Mais avec le temps incertain qui s’annonce, je décide de faire du stop, afin d’avoir le temps de m’imprégner de la beauté du lac.  C’est alors qu’une aventure des plus amusantes m’attend à l’orée de la forêt. Cela me rappelle ainsi que dans les dimensions les plus élevées du cosmos, tout n’est que réjouissances et jeux divins. Alors par un hasard qui n’en est pas un, je rencontre les deux créateurs de l’agence outdoor Green Bear, l’Ours Vert, spécialisée dans les sports de l’extrême en pleine la nature. Il n’y a aucune voiture. Juste celle de Ziko et Miloje. Avec spontanéité, ces hommes charmants m’accueillent dans leur véhicule de montagne. Ils sont très sympathiques et radieux. Nous bavardons comme si nous nous connaissions, dans la joie et la bonne humeur. Ils travaillent durant toute la saison avec les touristes. Et maintenant, ils se dirigent vers le lac Zaovine, car ils ont rendez-vous avec une équipe technique de télévision serbe. Ils ont été invités pour un épisode d’une série de documentaire sur une chaîne de voyage. Nous atteignons le lac bleu ciel qui dispense sa lumière sur les roches blanchâtres qui l’entourent. Nous descendons alors de voiture, près du grand pont qui traverse le lac limpide. Une énergie paisible se dégage de ce paysage d’une vibrante quiétude. Les deux hommes vont à la rencontre d’un van qui s’arrête aussi. A part ces deux véhicules, il n’y a personne. C’est l’équipe T.V. Ils sont une dizaine. Nous nous saluons chaleureusement. Tous se mettent alors à bavarder avec emphase face au panorama grandiose du lac. Il dégage une étonnante sérénité douce et bleuté. Le producteur vient alors me proposer si je serai d’accord de faire un passage improvisé pour une scène. Il trouve cela intéressant qu’une touriste fasse son apparition de façon fortuite dans la série sur les voyages dans les Balkans. Tandis que les techniciens et les aventuriers bavardent en serbe, le producteur me raconte en anglais que la série illustre l’histoire d’un étranger brésilien qui traverse les Balkans. Chaque épisode de Tiagov Balkan est un voyage vu par ses yeux. Il y a différents épisodes dans des régions de Serbie, mais aussi en Macédoine, au Monténégro ou en Albanie. Srdjan me propose alors que je les accompagne, afin de tourner la scène au bord d’un petit lac, caché en une baie noyée de verdure. Hallucinée, j’accepte l’aventure inattendue qui s’offre à moi, comme un nouveau clin d’œil du destin. Nous remontons alors tous à bord des véhicules. Ils descendent des hauteurs sur une route qui serpente jusqu’à la crique verdoyante au bord d’un lac sauvage et esseulé. Tandis que les techniciens installent leurs caméras et le matériel sonore, je contemple ce bijou bleu roi. Il repose dans un écrin de verdure comme à l’origine du monde. Les aventuriers déchargent les planches qu’ils déposent sur la grève de cailloux gris. Le soleil se fraye un passage bienfaisant entre les volutes de nuages crémeux d’un jour de pluie. Les drones se mettent à entonner une étrange musique vrombissante. Ils volettent tels de gros insectes au-dessus du lac enserré dans une ravissante gorge, recouverte de végétation. Les aventuriers ont pour mission d’embarquer le héros pour une virée en paddle standing board sur les eaux onctueuses couleur tourmaline. Leur rencontre spontanée se prépare face au lac paisible. Le producteur me précise que les scènes de la série documentaire seront tournées en improvisation. Mais les caméras sont enfin prêtes à filmer la scène. Le silence est demandé sur le plateau. On est prêt à tourner. Action. Entre dans le champ l’acteur principal. Il interprète le rôle du curieux voyageur qui se plaît à découvrir de l’intérieur une culture nouvelle et fascinante. Il se dirige vers les guides des sports de l’extrême. Ils bavardent ainsi en serbe. Les aventuriers semblent expliquer au novice l’aventure qui se prépare. Une énergie joyeuse et dynamique se dégage de la scène. Puis, Srdjan me demande d’entrer dans le champ, en jouant en improvisation le rôle la touriste perdue. En anglais, j’aborde ainsi la joyeuse compagnie, demandant mon chemin entre les lacs splendides et solitaires. En effet, à force de pérégriner, je me suis égarée et cherche le grand lac Zaovine. Après m’avoir donné des explications, la troupe me demande innocemment ce qui m’amène en Serbie. C’’est alors que je raconte devant deux caméras l’essence de mes folles tribulations au cœur des Balkans, ce qui m’anime et me fascine. La scène est très spontanée et ressemble à la vie. Des rires montent au fil des variations de notre rencontre fortuite. Coupé ! C’est dans la boîte. Le réalisateur me félicite et me remercie chaleureusement. Tandis que l’équipe technique se prépare à tourner la scène des trois personnages debout à ramer sur leur planche, le réalisateur me précise qu’il adore les rencontres imprévues. Selon lui, elles viennent nourrir les images d’un épisode d’une note d’originalité, ce qui donne toujours du piquant à la série documentaire. Il essaie ainsi de sortir d’un format classique pour réaliser des images vivantes, esthétiques autant que réalistes, avec cependant une touche d’humour, de décalage ou de folie. Car il sait que cela qui fait vibrer les spectateurs, surtout lorsqu’il est question d’évasion et de découverte. Mais le tournage reprend. Les caméras filment les protagonistes qui sillonnent les eaux verdâtres, debout, ramant sur leur planche. L’équipe de Green Bear donne un cours d’initiation au jeune héros naïf, qu’on voit peiner à l’ouvrage. A la fin de la prise, tous s’applaudissent. On se remercie en trinquant au rakia. Les nues cotonneuses du ciel se dissolvent et confèrent au décor des teintes émeraude, délicieuses et sauvages. Je bavarde en riant avec un caméraman très sympathique. Il a fait le tour du monde grâce à son extraordinaire métier. L’heure est à l’euphorie face à ce paysage étourdissant. Mais bientôt le réalisateur m’informe que l’équipe doit repartir vers d’autres sites du Parc National Tara, afin de réaliser un épisode par jour. Il me promet alors de m’informer, lors de la diffusion de l’épisode. Nous nous quittons alors comme des amis. Mon cœur frissonne. J’aurai adoré passer plus de temps en leur inspirante compagnie. Je retrouve Ziko et Miloje, occupés à ranger les planches sur le toit du 4X4. Ils sont heureux d’avoir figuré dans un épisode d’une série sur la chaîne voyage et découverte serbe. Ils espèrent que cela leur fera une belle promotion pour la saison prochaine, car ils souhaitent ardemment l’expansion de leur activité. Nous montons en voiture. Ils me proposent alors de me déposer au bord d’un autre lac, le lac Perucac, qui se trouve sur la route de Bajina Basta, la bourgade régionale à l’entrée du parc où ils habitent. Une route de montagne serpente à flanc de falaise au-dessus des méandres de la rivière Drina. Elle conduit au délicieux lac cerclé de monts verts et boisés. Des points de vue à couper le souffle s’étalent en contrebas de la route de montagne. Traversée de tunnels, elle zigzague des hauteurs en d’incessants lacets. Amicalement, ils me déposent au bord du lac endormi, cerclé de monts verdoyants qui se reflètent dans ses eaux vert sombre. Emue, je remercie mes nouveaux amis du fond du cœur pour la surprenante journée passé ensemble, teintée de magie et saupoudrée de folie. Nous éclatons de rire, comme si nous allions nous revoir demain, habitués que nous sommes aux rencontres autant intenses que fugaces. Je découvre alors le lac voilé de brume qui glisse de la montagne. Quelques bateaux-maisons flottent sur le rivage ainsi que des barques de pêche. Je contemple ce paysage d’une beauté hypnotique, dont la teinte gris-souris reflète des lueurs d’argent. Mais une douce tristesse vient alors avec le vent d’altitude. Après ces moments intenses, je me sens un brin seule. J’accueille ma mélancolie. Elle semble entrer écho avec le décor ouaté des montagnes alentours, annonciateur d’une pluie nocturne. Des volutes blanchâtres d’une légèreté de plume envahissent peu à peu le paysage, comme un rideau de dentelle devant une fenêtre. Mais soudain, une flamme s’anime en moi. Elle balaye vivement le sentiment de nostalgie qui m’habite. Et se réjouit de la joie vibrante de vivre d’extraordinaires épopées. Dans un bar face au lac maintenant noyé de brouillard, je commande un verre de rakia. Et bois en remerciant l’invisible ainsi que mes esprits alliés de m’offrir tant de folies vagabondes. Et aussi pour me faire passer à la télévision ! Ce que je trouve incroyablement excitant. Juste avant la pluie, je trouve par miracle un taxi. Il me dépose devant ma maison dans la clairière à l’orée des bois touffus qui s’étirent sur les collines. Un bonheur indicible se dilate alors dans la poitrine et colore mes cellules de vibrations d’extase. Seule en cet antre chaud montagnard, j’écris au coin du feu mes lignes quotidiennes. Le lendemain, je décide de me promener en forêt, malgré une atmosphère humide après une nuit entière d’averses automnales. Au centre du village de Mitrovac, j’emprunte alors un sentier qui traverse les champs où se trouvent les chalets, puis s’étire dans la forêt profonde. Le chemin traverse encore quelques claires prairies, délimitées par de grands sapins vert sombre. Quelques maisonnettes de bois servent de gîte aux paysans ou aux pêcheurs durant l’été, lorsqu’ils sont plongés en pleine nature. La sente de terre sillonne maintenant à travers une impénétrable forêt, dont les inaltérables parfums se diffusent dans les airs ventés. Des sons des bois me rappellent que ces lieux secrets sont grouillants de vie. Parfois, je dois me faufiler à travers les branchages ruisselants de pluie ou chevaucher un immense tronc d’arbre, afin de poursuivre la sente boueuse. Elle conduit au gré des reliefs tourmentés du paysage au bord de hautes falaises. Elles surplombent la plaine du lac Perucac et les méandres tumultueux de la rivière Drina. D’immenses pins aux troncs extrêmement fins s’étirent dans les volutes et voilent l’accès au ciel. Fascinée, je contemple avec un plaisir extrême ces arbres endémiques qu’on ne trouve que dans cette région exceptionnelle de Serbie. Leur rareté provient du fait qu’ils se nourrissent depuis des temps immémoriaux des qualités uniques du sol. Il était jadis un fond marin, il y des millions d’années. Un vertige me saisit à la vue de ces grands pins qui s’étirent dans le ciel noirâtre. Tandis que je déambule avec une lenteur amoureuse en l’obscure forêt pluvieuse, j’infuse ainsi à chacun de mes pas en ses replis cachés, ses trésors inaccessibles, ses remèdes guérisseurs. J’inspire un air d’une grande pureté qui m’enveloppe puis pénètre dans ma poitrine et se mêle à mon souffle. Une sensation de connexion avec la nature m’embrasse. Je me laisse alors recevoir ses énergies bienfaisantes. Tandis que je gravis une pente devenue une pataugeoire, une impression d’unité m’accompagne telle une caresse invisible. Je parviens à atteindre un point de vue fantastique. Il s’étire sur le lac et sur la rivière qui serpente dans l’océan vert des forêts. Doucement, un délicat voilage confère au paysage grandiose une once de mystère. Alors que je m’apprête à dégringoler une sente tapie de feuilles mortes, des bruits de craquements dans les branchages attirent mon attention. Comme par enchantement, deux biches apparaissent dans mon champ de vision. Elles se sauvent vers des lieux inaccessibles de l’insondable forêt. Elles m’ont entendu arriver et ont pris peur. Cependant, comme je m’immobilise, elles font de même. Nous restons ainsi, figées telle une image, une photographie de l’instant dans la rumeur incessante de la forêt sauvage, noyée de pluie. Le temps suspend soudain son cours irréversible pour quelques secondes d’éternité. La biche et son faon me contemplent d’un air attendri, dont la douceur charmante me va droit au cœur. Presque hébétée, je les observe intensément, sans oser respirer, à bout de souffle. Les instants s’étirent en une immensité fugace. La nature me dévoile ainsi quelques joyaux de ses perfections qu’elle renferme pourtant jalousement derrière les dédalles de ses chemins labyrinthiques. Emue aux larmes, je regarde avec les yeux de l’âme, ces animaux délicats au charme incomparable qui me scrutent de leurs grands yeux candides. Puis, des cris aigus d’oiseaux viennent troubler la scène irremplaçable. Elles tournent alors leur jolie tête vers les profondeurs verdâtres des sommets puis dévalent la raide pente des abords des falaises. Je suis des yeux leur silhouette grâcieuse sillonner avec une aisance aérienne, les reliefs tumultueux de la forêt. Le cœur aux nues, je rebrousse enfin chemin sous une fine pluie qui persiste. Un son sourd de battement d’ailes me tire de ma rêverie. Un grand aigle brun au plumage moucheté de blanc croise alors ma route solitaire. En un vrombissement venté, il survole ainsi les bois humides, passant près de moi avec une détermination instinctive. L’espace d’un éclair, j’ai à peine le temps de contempler son allure noble ainsi que sa merveilleuse beauté qui réduisent au silence. Troublée, je remercie les forces de la nature pour ces présents enchanteurs. Ils m’apparaissent comme des signes de bonne-augure sur ma route nomade. Puis, je dis adieu à ce lieu foisonnant de vie, de l’âge d’or du monde.   

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