Mon Odyssée dans les Balkans, ALBANIE

Shkodra

Shkodra

Nous partons en virée à vélo, au bord du lac Shkodra, le plus grand lac des Balkans. Nous quittons la nationale, traversons un grand pont métallique qui surplombe la rivière puis empruntons une route qui longe les flancs raides des montagnes. Apparaissent les rives du lac dont les falaises abruptes plongent dans les eaux pures. Cerclées de plaines et de marécages, elles offrent un cadre idyllique et vierge à explorer. Au cœur d’une beauté originelle, plusieurs villages de pêcheurs sont disséminés sur les berges brutes. Nous pédalons sous le soleil brûlant jusqu’au village de Shiroka, qui dispense une vue magnifique sur le lac miroitant. Autour, un chaos de roches vibre d’une teinte dorée qui contraste avec le turquoise délicat des eaux tranquilles. En effet, les raides falaises jaunâtres semblent garder jalousement le lac émeraude dont la sérénité étonne. Nous nous installons près des berges caillouteuses à la terrasse d’un restaurant face au lac étincelant. Un aimable serveur nous accueille. Nous déjeunons de poissons grillés accompagnés de légumes, nous remémorant les extraordinaires péripéties de notre voyage ensemble. En cet écrin sauvage, nous honorons notre amour merveilleux sous un ciel radieux. Puis, regagnons les rives arides afin de s’imprégner de l’audacieuse splendeur de ce paysage brute. Nous dénichons de vieilles chaises longues métalliques que nous traînons à l’ombre d’une pelouse clairsemée face à une petite baie de cailloux qu’abrite le village. Tandis que nous somnolons face à ce décor désertique, des vaches en liberté venus nous saluer nous réveillent brutalement. Surpris par leur présence, nous éclatons de rire. Puis contemplons en silence, le paysage limpide à l’air sévère. Puis, lorsque nous avons repris des forces, nous pédalons en sens inverse jusqu’à Shkodra. Mais afin de célébrer nos pérégrinations légendaires, nous rallions l’imposante forteresse Rozafa qui domine la cité, à l’heure spectaculaire. Nous empruntons une voie pavée qui zigzague jusqu’au pic rocailleux. Il abrite un édifice moyenâgeux à l’allure grandiose. Nous pénétrons par une porte impressionnante dans la cité fortifiée qui surplombe la vallée de Shkodra. Dans une brochure, nous découvrons la légende ancienne de la forteresse. A l’origine, il y a bien longtemps, trois frères furent engagés à la construction de la citadelle. Cependant un sortilège semblait régner sur ce lieu magique car ils ne parvenaient jamais à achever leur tâche : ce qu’ils accomplissaient le jour s’écroulait la nuit venue. Un maléfice opérait étrangement. Mais un sage vieillard, éclairé de connaissances occultes leur conseilla de sacrifier l’épouse de l’un des trois frères. Afin de les aider, le sorcier leur conseilla de désigner la femme qui leur apporterait le déjeuner dans l’enceinte de la forteresse. Ainsi, c’est elle qui serait sacrifiée et parviendrait par sa mort à libérer la forteresse de la magie obscure qui l’enserrait. Ce fut la malheureuse Rozafa, l’épouse du plus jeune des frères, qui fut désignée à subir ce cruel châtiment. Car son mari bien trop naïf n’avait songé à la prévenir, contrairement aux deux autres frères qui avaient averti leur épouse. La pauvre femme, résignée mais désirant sauver sa famille de ce diabolique envoûtement, accepta cependant de se sacrifier mais à une seule condition. Elle désirait continuer à allaiter l’enfant qu’elle venait de mettre au monde. Ainsi, elle fut emmurée dans les remparts de la forteresse. Cependant les frères firent des trous dans les murailles afin que la jeune femme puisse nourrir son nouveau-né. La citadelle put alors être achevée et l’enfant sauvé. Mais pour déjouer le maléfice, la jeune femme dût rester enfermée jusqu’à ce que mort s’en suive. La forteresse porte désormais son nom. Je me dis que les châteaux recèlent toujours d’obscures légendes. Le site fut occupé dès l’âge du bronze. Les archéologues ont mis à jour des fondations illyriennes sous les murs de l’enceinte médiévale, érigée durant la période vénitienne, au 14ème siècle. Puis elle fut prise par Mehmet 2 le Conquérant durant l’expansion de l’empire ottoman à travers les Balkans. C’est alors qu’elle subit de grandes transformations. Les turcs la dotèrent de mosquées, de minarets, de hammams, de réservoirs d’eau ainsi que de résidences de pachas. Les ruines massives de la citadelle s’étalent sur le plateau herbeux du promontoire rocheux. Une vue spectaculaire s’étire sur la ville et le lac qui reposent en contrebas, que des reliefs dentelés protègent avec solennité. Au gré des ouvertures, des arches et des murs crénelés, des cadrages magnifiques apparaissent sur les méandres de la rivière qui serpente dans une verdoyante vallée. Un doux soleil de la fin du jour colore d’une teinte rose les murailles grisâtres de l’enceinte ainsi que les ruines des édifices gigantesques. Dans ce bain de couleurs chaudes, nous nous photographions à l’apogée de notre bonheur, entourés par ce théâtre de pierre. Puis nous allons admirer le soleil couchant glisser des montagnes dans un débordement de teintes dorées. Des images mirifiques se dessinent à l’horizon, où les contours ténébreux des reliefs se dessinent dans le ciel orangé, révélés par les lumières explosives du crépuscule. Sur une note recueillie, nous adressons nos vœux d’amour et de réalisation à l’invisible. Doucement l’éclatement solaire se désintègre pour laisser place au tapis sombre de la nuit. Emus, nous redescendons le chemin de la forteresse pour regagner la cité frémissante. Nous dénichons un fabuleux restaurant traditionnel, logé dans l’ancienne bâtisse d’un tekké soufie et nous installons dans son patio fleuri. En une atmosphère de félicité, nous dégustons de riches plats végétariens accompagnés de vin rouge en trinquant à la vie. Puis nous nous rendons à la terrasse d’un bar devant laquelle se donne un extraordinaire concert de jazz. Comblés de bienfaits, nous savourons les présents divins dont nous régale notre destin, en ces instants exquis de plénitude.

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