Voyage en Asie, PHILIPPINES

L’île de Tablas

Mes péripéties à travers l’archipel se poursuivent contre vents et marées. A l’aube pâle, je quitte Boracay et rallie par bateau l’île de Tablas, qu’on dit verdoyante et sauvage. De Caticlan, je rallie le port de Looc, à Tablas, à bord d’un bateau à moteur comme un trimaran. La traversée est une aventure esthétique. Le soleil frappe la mer translucide. La couleur de l’eau est d’une perfection picturale. Nous longeons l’île de Boracay, un coin de paradis. Ses plages de sable blanc brillent d’une irradiante lumière. Nous progressons entre un ciel bleu et une mer turquoise.  Parfois les flots s’agitent, les vagues roulent, le vent tournoie comme un aigle. Nous longeons d’autres îles luxuriantes où des monts vierges dégringolent sur des baies de rochers et de sable fin. De gros nuages d’un blanc transparent semblent posés dans l’air lumineux. Légers comme des ballons de plume. Mon regard se perd par-delà cette félicité mystique. La traversée se poursuit. Le ciel se couvre, les flots ondulent et le petit bateau chavire. Enfin, nous amarrons au port de Looc. Il y a un grand ponton qui surplombe l’eau verte, des bateaux de pêches noires qui brûlent de chaleur, face aux sommets lointains d’autres îles. Une désolation insulaire se dégage de ce paradis perdu. Le soleil étouffe l’atmosphère. Je regarde autour de moi. Ce petit port oublié, aux couleurs authentiques me fait bonne impression. Je monte dans un tricycle qui me dépose sur la place du village. Je me rends chez Angélique Inn, un hôtel familial. L’ambiance est traditionnelle. Un vieux monsieur m’accueille, et me propose de déjeuner en attendant que ma chambre soit prête. Je m’installe dans la salle du restaurant. La chaleur est hypnotique et je tombe de sommeil. La navigation m’épuise toujours. Le vieux monsieur me sert un poisson grillé au jus de calamansi, un vrai délice.  Après le repas, j’arpente le village, longe le mouillage, où des hommes réparent des bateaux. On me salue avec énergie débordante, comme souvent dans les endroits lointains. Une belle humanité se dégage des sourires et paroles. Je sens déjà que mes jours ici seront riches. D’excellentes vibrations me parviennent. Une sorte de tranquillité colore les airs. Deux étudiantes en uniforme viennent à ma rencontre. Elles sont belles et gaies. Elles se prénomment Marie Joy et Jennifer. Elles décident de m’escorter. Nous longeons le port et bavardons. Le temps file entre contemplation et rire. Je quitte mes amies et décide de me rendre à la plage. Un tricycle me suggère de me conduire à la baie exquise de Gisèle Beach House. Je monte à bord, ivre de joie. La route traverse un pont puis sillonne à travers des champs de rizière d’un vert fluorescent, des étangs brillants de soleil, des hameaux de cases en palme, puis bifurque sur un chemin de terre, au cœur d’une nature bien heureuse. La route serpente de champs cultivés en collines. Une fraîcheur parfumée embaume mes narines. Une douceur intense gonfle ma poitrine. Nous longeons un mont sur lequel se tient une église rouge, des cases devant lesquels des villageois nous font de grands signes de bienvenue. Le chemin traverse des cultures et des forêts de palmiers pour s’achever dans la mer émeraude. Ce tricycle me dépose et promet de me chercher au soleil couchant. Je vais à la plage. Je découvre une grève vierge et sublime. Des reliefs d’une île à l’horizon incitent aux rêveries. Une bande de nuages s’architecture dans le ciel transparent. L’eau cristalline ressemble à une bénédiction. Au bout de la plage, il y a des arbres nus, les pieds dans l’eau comme de grands oiseaux étranges. La vision est inspirante. Comme des sculptures d’argent, les branches grisâtres et dénudées aux formes dansantes, scintillent sous le soleil. Les créatures entre terre et eau semblent nous raconter des contes inédits. Un silence vibrant glisse sur moi comme un rayon de lune. Je m’installe sur un tronc de palme. Et m’abreuve de cette paix unique comme un nectar palpitant. Le sable est peuplé de beaux coquillages laiteux et d’étoiles de mer dorées. L’eau ondule avec grâce. Une musique comme un souffle chanté, découpe en rythme le silence. Je rebrousse chemin, traverse les rochers jusqu’à une autre plage qui elle aussi, semble désertée. Un jeune homme à demi-nu est assis à l’ombre d’un palmier. Il n’y a que lui et personne d’autre dans ce silence bleuté. Ses traits sont indigènes et son visage est d’une beauté primitive. Il semble perdu dans la splendeur vibrante. Je passe devant lui et le salue comme si nous étions les deux seuls habitants de la planète. A l’heure crépusculaire, je regagne le port. Le ciel est inondé d’une explosive lumière rose et jaune. Sur une roche, je m’installe pour méditer. L’horizon ressemble à une gouache, aux teintes chaudes fraîchement peintes. Les îles deviennent orange et les nuages rosés. Une barque de pêche passe avec une lenteur émouvante. Au loin un bateau traverse le soleil rouge comme si de rien n’était. L’unité des silences et des tons me perce le cœur. La nuit vient avec douceur. Il fait bon vivre ici. Je rentre au village qui s’est endormi avec la nuit. Les ruelles sont noires et les échoppes fermées. Je marche au hasard dans une avenue obscure, à la lueur de la lune. L’astre nocturne déverse sa chaude luminosité et éclaire mon chemin. Je m’installe dans la seule paillotte ouverte, éclairée à la bougie. Je dîne d’une salade de concombre et d’une potée de légumes pimentés. Chaque jour est une surprise, chaque instant, un miracle.

Dans le noir de l’aube, je saute sans une jeepny pour rejoindra le port de Saint Augustin. De là, un bateau rallie l’île de Romblon. Cette aventure insolite, à travers de petites îles superbes et paisibles, m’enchante terriblement. La route serpente à travers une foisonnante verdure et surplombe ici ou là des baies sauvages et des plages de pierres noires dont l’éclat obscure rivalise avec la lumière du soleil. La route longe le littoral. Il y a des plages brunes parsemées de caillasses ocres que les flots recouvrent peu à peu, en formant des petits étangs comme des miroirs, dans lesquelles les nuages se regardent. Il y a des étendues de sable noir que de gros rochers surplombent puis la mer infinie et verte jusqu’au ciel. Il y a de l’autre côté du regard, des rizières légèrement en terrasse que des monts recouverts de palmiers, encadrent avec délicatesse. Seules quelques cahutes accrochent le regard sur ces étendues d’un vert pétillant comme la mer. Le soleil monte comme des flammes. Nous atteignons le port pittoresque de Saint Augustin. Autour, de belles et lumineuses montagnes semées de palmiers. Devant la rade, des passagers attendent sous le soleil. Nous montons à bord. Une vue charmante s’étire sur les sommets verdoyants. Le ciel est jaune et chaud. Ce paysage d’un autre temps recèle un charme fou. Nous faisons escale dans des hameaux, fait que quelques huttes et qui semblent si reculés, que je demande comment il est possible d’aller encore plus loin. Je contemple le paysage de ma fenêtre : les villageois au bord de la voie qui me font de grands signes, les plages vierges semées de troncs de palmiers, de noix de coco et de bois déposés par le ressac. Je fais escale à l’Alcantara, sur la côte ouest. Un village en bordure d’une plage de pêcheurs. Quelque chose de singulier me retient là, alors que ce lieu semble le plus tranquille du monde. Je trouve à me loger au-dessus de la pharmacie, dans un meublé, délaissé par les propriétaires, expatriés aux Etats-Unis. Etrangement, je suis à la maison. La gardienne me fait visiter l’appartement comme si j’allais m’installer là. Elle m’offre des bougies pour ma longue soirée solitaire, sans électricité. Nous éclatons de rire et moi de lui répondre qu’écrire à la chandelle me donne du baume au cœur. La dame retourne vaquer à ses occupations et me laisse seule. Je profite de l’étouffante chaleur pour faire ma lessive et accrocher mon linge au balcon. J’aime toujours l’idée d’une maison au hasard de l’errance. Et c’est ainsi que je reprends mon souffle.

Je me rends à la plage qui dessine une large courbe sous des monts étincelants aux mille palmiers. La plage est semée de troncs morts, de feuilles de palme desséchées, d’écorces de cocos brunes comme des cadavres. Des hommes reposent à l’ombre des auvents, des marins repeignent des barques couleur ciel, et des enfants courent dans le vent. Je longe des bicoques sombres en toit de palmes, des cabanes bringuebalantes, que chaque tornade ébranle davantage. Sur le sable grisâtre, des pirogues délavées dorment sous la fournaise. La mer gronde, le vent siffle son chant inlassable. Mon chapeau s’envole. On me salue.

Il y a des étals sur lesquels sèchent de minuscules poissons argentés, des gros cochons noirs qui gémissent à l’ombre, des chiens errants qui se bagarrent, et des bateaux chargés de filets couchés sur le sable couleur neige. Une douce désolation s’empare du paysage. Dans l’air une touche d’abandon. Des marins mettent une grosse barque à l’eau, puis rament avec vigueur pour voguer vers une destination inconnue. Sur la grève, des enfants manient une poulie et actionnent des roues comme un volant. Ils rapatrient des casiers de pêche qui flottent au large, attachés à une longue corde bleue. Une foule tire sur la corde comme un seul homme. Le vent fait trembler les flots azurés. Je marche de long en large et embrasse cette vision authentique.

Je me rends à l’Aglicay Beach Resort, à quelques kilomètres de là. Un tricycle me conduit à travers une route somptueuse vers la baie reculée. Le tricycle peine à gravir la colline qui borde la mer. Ici, on aperçoit des falaises plongeant dans l’eau turquoise, des monts de palmiers ensoleillés, des rizières en étage comme des mares de paillettes infinies. Nous atteignons la plage blanche qui tremble sous le vent. Je remercie Ernesto, le chauffeur et le prie de venir me chercher à l’heure du soleil couchant. Je m’installe sous un palmier que le vent fait frémir. La plage est divine. Il n’y a que le grondement des vagues et le bruit sourd de la tornade marine comme une transe. Une jeune fille délicieuse vient à moi et m’offre une noix de coco fraîchement cueillie. Elle se prénomme Marielle. Elle est belle comme une muse. Pendant que je sirote le jus, puis grignote la chair de la coco, elle s’installe près de moi. Elle garde le silence malgré un désir de me raconter quelque chose. Je la contemple comme une actrice au cinéma. Nous rions à chaque gifle du vent, qui nous fait frissonner. Dans le ciel, de gros nuages noirâtres approchent comme une armée. Un arc en ciel géant et parfait se dresse dans le paysage, en réponse à la magie d’une rencontre. La grève se dissout délicatement dans l’air blanc des volutes. Je m’aventure sur le sommet noyé de vent. D’un côté, un bras de mer, entouré de reliefs dentelés qui s’apparentent à des pattes de dinosaures. De l’autre, la toile infinie de la mer qui semble recouvrir la terre entière. Cette paix agitée me grise. Il me semble flotter comme des bulles de savon dans un décor aérien. La beauté est à son paroxysme et moi, à l’épopée de mon destin. Avant la nuit, je retrouve Ernesto qui m’attend à la plage et me ramène à Alcantara. Le long de la route, l’explosion solaire transforme le paysage en une peinture éphémère. Des flocons orangés mouchètent le ciel tandis que les rizières noyées se teintent de rose. Le vent souffle et fait trembler la terre. La nuit tombe. Je rentre chez moi. Je passe la soirée à écrire à la chandelle et à laper du thé. Les rafales du vent font claquer portes et fenêtres. Un sifflement aigue résonne alors que la nature entière semble frémir des caprices éoliens. J’ai le cœur qui pince. Dans la nuit noire, mon sommeil est troublé par les folies du vent. La maison est devenue un bateau qui navigue sur des flots d’air obscurs.

Laisser un commentaire