La toute puissance du rêve

Paru dans Grandes écoles Magazine par André Miller

        Yanna Byls, sait-elle que le titre du récit de son périple enchanté en Amérique du sud, « Soleil citron vert », fait écho à une légende qu’apposa Van Gogh au bas d’une toile où, pour décrire un soleil couchant, Vincent parle d’un « immense disque citron » ? Dans tous les cas de figure, cela ne peut être tout à fait un hasard pour quelqu’un dont le propos est précisément de démontrer que celui-ci n’existe pas, ainsi que l’écrivaine-voyageuse a pu l’expérimenter. Du Pérou à la Bolivie, elle ricoche en effet de visages lumineux en paysages inoubliables selon un scénario qui semble écrit de toute éternité, tout en exerçant pleinement sa liberté, au gré de presciences rarement démenties. Ce titre lui a été soufflé en rêve, à la suite d’une rencontre qui inaugure ses aventures sur les terres sacrées des anciens aztèques. Sur une place de Mexico, elle entre ainsi en contact avec un chaman dont la « danse-offrande » ancestrale mime le mouvement des étoiles, et qui, prenant son visage à pleines mains, la confirme dans son intuition première : son destin est d’aller à la rencontre de soi et des autres pour ensuite témoigner, partager la beauté du monde qu’il lui aura été donné de contempler.

        L’ouvrage de cette comédienne de formation est à ce point infusé de rêve qu’il s’apparente à un long chapelet onirique. En effet, bien que chaque détail ait été vécu, l’enchaînement magique des événements, le génie de la rencontre, l’intensité et la variété des couleurs restituées, tout concourt à procurer une enivrante sensation de flottement, à faire vaciller la frontière que l’esprit occidental dresse en général entre le sommeil et la veille. C’est que Yanna Byls est fermement convaincue de la puissance du songe. Selon elle, nous ne subissons d’autres limites que celles que nous nous fixons. Chacun d’entre nous, pour peu qu’il croie suffisamment à son idéal, ne peut manquer de le voir se réaliser. Elle déplore de voir aujourd’hui notre société, la jeune génération en particulier, sclérosée par la peur ambiante, par un désir de sécurité, certes compréhensible, mais asséchant. Elle, veut redonner à voir le champ des possibles, raviver une flamme sur le point de s’éteindre, celle-là même, joyeuse, qui conduisit ses parents hippies à sillonner l’Europe après être tombés amoureux sur le pont d’Avignon.

     A ceux qui sourient avec condescendance à ses histoires fabuleuses, l’auteure oppose non seulement la chronique circonstanciée des petits et grands miracles de sa vie de nomade céleste, mais encore le souvenir de détails biographiques troublants, notamment sur le chapitre très concret des ressources matérielles. Combien de fois, à la manière de ces sages indiens qui, dit-on, voient leur besoin soudainement comblés – par exemple sous la forme d’un billet d’avion pour une destination où ils devaient précisément se rendre -, n’a-t-elle elle-même reçu un financement providentiel, décroché un rôle inespéré qui lui permettait de continuer ? Et même lorsque ces cadeaux de la destinée semblent se refuser, il y a toujours une raison, parfois rétrospective. Aussi, lorsqu’elle prépare son départ pour l’Extrême-Orient et que les moyens tardent à se matérialiser, comprend-elle que c’était pour lui permettre de rencontrer celui qui devait l’y accompagner. Or, l’objectif avoué de cette échappée était déjà depuis longtemps d’explorer les différentes manières de se marier… Alors, ce qui devait être un voyage quasi-sociologique s’est mué en lune de miel, qui les verra se remarier tous deux selon le rituel de chaque région traversée…

        Élargissant sa conscience à mesure qu’elle arpente l’espace, hier en Amérique aujourd’hui en Asie, cette actrice, constate tous les jours que la vie est un synopsis dont la beauté et la vérité de l’interprétation nous appartiennent. D’ailleurs, de la même manière qu’elle a éprouvé la porosité entre le rêve et la réalité, la scène du monde n’est pas qu’une métaphore pour Yanna Byls. Lorsque les rôles successifs qui nous sont proposés sont incarnés avec sincérité, les masques ne sont plus synonymes de fausseté, mais bien plutôt l’ombre portée du visage de l’autre, que nous reflétons, et qui nous révèle à nous-mêmes. « 

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