Voyager et écrire: une quête spirituelle

Article pour la revue Mirage par Yanna Byls

Voyager et écrire : une quête spirituelle

Quelle est cette force irrésistible qui pousse le voyageur à quitter un monde connu, à abandonner ses habitudes quotidiennes et ses petits rituels, pour larguer les amarres vers des contrées lointaines et oubliées ?

Cet appel, aussi décoiffant que le vent de la route, s’engouffre en vous comme une tornade, et vous attire comme le chant magique d’une créature d’un monde enchanté. Est-ce le parcours que doit accomplir votre âme dans cette vie terrestre ou est-ce l’expression d’un destin ? Qu’importe ! Rien ne sait résister à la soif de liberté et à la fascination de l’ailleurs.

Alors vous rêver, une grande carte du monde étalée devant vous, et des noms aux sonorités étranges comme des refrains magnétiques vous envoûtent déjà ! Sur la carte, les pays paraissent petits et il semble si facile de les traverser les uns après les autres. Dans votre enthousiasme, vous oubliez de considérer les chaînes montagneuses, la steppe ou le désert, vous voulez tout visiter, avaler, engloutir, brûlé par les flammes pimentées du voyage, comme les comédiens par l’ivresse de la scène. Vous vous abandonnez aux mains de l’errance, vibrant de ce besoin d’itinérance comme les premiers êtres humains de la planète. Vous décidez de partir pour plusieurs mois dans une zone du monde afin de découvrir des cultures ancestrales au charme envoûtant, et de vous perdre dans des décors magnifiques à la rencontre des ethnies des pays traversés, de l’autre, de vous-même. Votre entourage ne vous comprend pas bien, vous met en garde, vous envie, et parfois vous félicite. Vous tentez de construire le thème de votre périple, le cadrage pour l’écriture et les images. Mais vous pressentez déjà, dans l’infime palpitation de votre âme, que ces pérégrinations guidées par je ne sais quels esprits de lumière, échapperont à votre contrôle et vous conduiront vers un chemin de conscience où le hasard n’existe plus, et où des signes époustouflants vous indiquent la route. Vous acceptez d’exister dans le mouvement et faites l’éloge de l’éphémère.

Vous vous envolez alors, pour plusieurs saisons, vers les contrées africaines, sur les terres sacrées des Andes, ou le long de la route de la Soie à l’orée de la steppe vertigineuse.

C’est alors qu’une puissance secrète opère, comme un personnage qui se glisserait dans votre peau après des semaines de répétions. Quelque chose en vous se dépouille, se libère, vous vous connectez à votre cœur, à vos intuitions, à votre instinct animal, au ciel, aux étoiles, à l’univers entier. Vous arpentez au hasard des venelles mouchetées de soleil, sans savoir où aller, – vous avez tout votre temps -, vous vous perdez dans une cité ancienne ou dans un village cerclé de monts impénétrables, et comme par enchantement, vous rencontrez un vieux sage qui vous invite à prendre du thé aux épices pour vous conter des légendes de sa tribu d’origine, dont les histoires n’ont jamais été écrites. Là, vous êtes comme porté par une énergie inspirante semblable à celle de l’état amoureux. Tout devient possible, votre cœur se dilate et vous avez envie de pleurer face aux sourires des enfants qui accourent vers vous, en vous prenant les mains, devant la gentillesse pure d’une femme qui vous offre un repas simple et plein de chaleur ou après avoir partagé des jours de marche dans la jungle avec des jeunes d’une ethnie qui ont accompli pour vous, un rituel millénaire face à un arbre sacré. 

Au fil du voyage, au fil de l’encre, vous vous sentez à votre place, investi d’une mission cosmique, faite pour vous seul, et qui vous conduit inexorablement au bon endroit, là où des êtres singuliers vous espèrent, là ou une histoire vous attend.  C’est là que vous vous installerez quelques temps, en nomade, dans un esprit de partage, et que vous consignerez les bribes de votre voyage. Dans un cahier d’écolier, vous dépeindrez votre vision du monde, vous inscrirez les rencontres miraculeuses, les conversations touchantes, les aventures insolites, comme autant d’images vraies et impérissables. L’écriture deviendra un hymne à la beauté, au sacré, à l’amour. Elle prendra son sens comme remède à l’oubli, à la fuite du temps, à la confusion des sentiments. Vous écrirez votre ami Touareg, Mohammed, et cette méharée à dos de dromadaire, aux portes de Tombouctou dans le désert du Sahara, pour graver à jamais ces instants éblouissants passées ensemble ; vous écrirez vos tribulations avec une communauté Quichua à l’orée de la forêt Amazonienne, où le chaman vous a initié à écouter le langage de la nature et les chants de l’invisible ; vous écrirez votre rencontre avec un beau moine d’une pagode d’un village du Cambodge, et dont les mots teintés d’une fibre mystique, vous éveilleront à la sagesse et à la grandeur d’âme. Puis, ce sera le retour. Mais cette fièvre de l’écriture, mêlée à celle du voyage, ne vous quittera jamais. Et un jour de soleil intérieur, vous reprendrez la route, comme une quête effrénée, un éloge à la vie.

La Fiancée du bout du monde

Laos

Le mariage de Leap et de Had

À Luang Prabang, dans une impasse ravissante, une agitation joyeuse attire notre attention. Devant une demeure ancienne de bois sombre, des tables sont dressées. Une fête semble se préparer. Mon intuition me dit qu’il s’agit d’un mariage. Nous approchons, intrigués. À l’intérieur de la maison, des bouquets de fleurs et des encens sont déposés sur un autel. Des jeunes filles disposent sur le sol des coussins de couleur, en riant. Elles sont belles comme les fruits du soleil. Peu à peu la maison se transforme en un antre cérémoniel. Une dame âgée vient à nous. Elle est d’une douceur angélique. Dans un français littéraire, elle nous révèle qu’un mariage se déroulera cet après-midi même. Avec une générosité touchante, l’aïeule poursuit son récit fascinant. Ce jour, les fiancés, Leap et Had, s’uniront selon les traditions bouddhiques. La cérémonie religieuse se déroulera dans la maison familiale, afin de protéger la demeure dans laquelle vivront les futurs époux, ainsi que leur union sacrée. Avec un sourire doux la dame ajoute qu’il est de coutume au Laos que les jeunes époux s’installent dans la maison de l’une des deux familles, en marque de respect des ancêtres et de la culture. Dès demain, le couple vivra ici même, dans la demeure de la famille de Leap, la jeune épouse. (…)

Avec une simplicité pleine de chaleur, la vieille dame nous invite à nous joindre à la cérémonie religieuse. Ravis, nous promettons de revenir pour le rituel bouddhique. Nous nous inclinons en joignant les mains, en signe de respect. Puis nous poursuivons la promenade le long du Mékong mauve. (…)

Un vent pourpre se lève sur le fleuve éternel. Un vent capricieux agite ses ailes. Nous nous embrassons d’un baiser étourdissant. Nos yeux se teintent d’éclairs et nos lèvres de cannelle. Une volupté silencieuse nous enveloppe. Nous déjeunons au bord de l’eau immuable, aux reflets magiques, avant de nous rendre sur les lieux de la noce.

La famille et les amis intimes sont déjà installés à l’intérieur, sur des nattes. Ils sont vêtus de tenues sombres et sobres. Ils sont assis sur des coussins et entourent les époux, agenouillés au centre, prêts à recevoir une bénédiction. Les mariés sont vêtus comme il se doit pour la cérémonie bouddhique, de vêtements de la vie de tous les jours, afin de recevoir les offices protecteurs des bonzes. Cinq bonzes accompagnés de trois novices, sont assis en L, face aux mariés. Ils sont tous vêtus du costume traditionnel orange. En symbole à la célébration religieuse de l’union, des offrandes de bouquets de fleurs trônent au cœur de l’espace dépouillé et magnétique. Selon la coutume, elles sont destinées aux mariés et aussi au Bouddha. Chaque bouquet détient douze bâtonnets d’encens, selon les traditions bouddhiques au Laos. Un silence teinté s’excitation embrase l’atmosphère.

La célébration religieuse débute comme une prière. On allume les encens et les bougies, disposés au cœur du cercle rituel. Un vieux bonze commence la cérémonie en lisant seul, dans un livre épais, un long et très ancien mantra. Sa voix est profonde et son timbre grave. Les convives s’immobilisent, les mains jointes en signe de dévotion. Les époux se prosternent dans une attitude humble et majestueuse. Ils sont d’une beauté rayonnante et d’une étonnante discrétion. (…) Les bonzes et les novices récitent, d’une seule voix, des mantras bénéfiques de mariage, perpétrés de génération en génération, en symbole du respect des ancêtres et des règles bouddhiques. Une mélodie rythmée et langoureuse embrasse les cœurs. Une vibration spirituelle pure colore l’ambiance. Les sutras sacrés qui unissent les époux pénètrent les âmes. Une sérénité troublante se lit sur les visages. Le rituel de ces noces sous l’égide de Bouddha est des plus pittoresques. La prière s’achève comme des notes de musique. À la fin du rituel les convives se lèvent, discutent ici et là, alors que les bonzes et les novices s’en retournent à la pagode. La vieille dame vient à nous. Une expression joyeuse se devine sur son visage. Enjoués, nous la remercions pour son invitation et lui exprimons notre gratitude. Je lui révèle qu’il n’y a rien de plus passionnant que de découvrir les rites matrimoniaux des contrées asiatiques. La vieille dame nous lance un regard habité d’une grande tendresse, puis nous conduit dans la cuisine où de grosses marmites palpitent sur un feu de bois. Doucement elle nous explique, sous les effluves parfumés de piment, qu’une des marmites contient cent et une têtes de poulets et le double de pattes. Ce bouillon goûteux et parfumé servira de sauce au riz gluant pour le banquet des noces. Selon la coutume, ce repas festif suit la cérémonie religieuse. Dans une seconde marmite une quinzaine de poissons entiers trempent dans un bouillon clair. La vieille dame nous précise que les corps des poulets sont réservés à la grande fête nuptiale qui se déroulera demain soir, où un dîner précédera une soirée dansante. (…)

Le lendemain nous nous rendons à la cérémonie traditionnelle. Le ciel est lourd et blanc. Les feuilles dansent dans le vent pâle. La vieille dame nous reçoit avec un sourire éclatant. Elle nous fait signe d’ôter nos chaussures avant d’entrer dans la maison familiale. Les mariés sont parés, cette fois, de costumes magnifiques, et les convives sont vêtus de façon élégante. La mariée porte une tenue blanche au-dessus d’une robe soyeuse bleu canard, dont les extrémités sont brodées de fils d’or. Le sarong, dont un pan de tissu se rabat sur le devant de la taille, est de la même couleur d’un bleu profond. Les motifs de la robe, en forme de spirales asiatiques, de couleur écrue et dorée, sont assortis au large bandeau traditionnel que la mariée porte en travers du buste. La belle épouse est coiffée d’un chignon conique agrémenté de perles d’or et de pics de fleurs de métal doré. Elle porte des boucles d’oreilles d’or. Son visage est rassemblé et pétillant. Elle est d’une beauté cinématographique. Le marié est vêtu d’un costume blanc brillant, orné d’une épaisse chaîne d’or qui lui traverse le buste. À la taille, une ceinture dorée assortie. Sa tenue raffinée et précieuse lui confère un air angélique. Il est d’une beauté princière et semble se recueillir dans une grande émotion. Les mariés sont assis en tailleur au centre de la demeure de bois, devant des pièces montées de fleurs et de bougies. Les futurs époux semblent prier en silence, le regard au sol, dans une attitude d’humilité et de dévotion. Les convives sont installés en cercle autour du couple du jour. Ils sont vêtus de pagnes sombres, ornés de fleurs. Ils bavardent en chuchotant, les yeux brillants et l’air impatient. La vieille dame dispose pour nous des coussins fleuris près des mariés. Nous nous installons en silence. Un instant plus tard, la célébration débute.

Le religieux, vêtu de blanc, et dont c’est la mission d’unir les époux, se lance dans une tirade humoristique sur les devoirs des époux, qui déclenche des rires dans l’assemblée. Les mariés sourient discrètement, sans perdre cet air de sagesse approprié au mariage. Ils écoutent avec une intensité habitée. Les regards sont rivés vers eux. Le religieux achève son discours et amorce le rituel symbolique de l’union. Il attache les extrémités d’un long lacet blanc au poignet de chacun des époux. Comme le veut la coutume, les mariés ont alors les mains attachées, en symbole de leur engagement éternel. L’homme prend un bouquet de fleurs, le trempe dans un bol d’eau et arrose les mains unies des époux, en signe de bénédiction. Il leur donne un petit verre d’alcool de riz à partager puis un œuf dur coupé en deux. Selon la tradition, les époux se donnent mutuellement à boire et à manger. Cet acte signifie qu’ils prendront soin l’un de l’autre leur vie durant. Avec douceur, le marié fait boire sa belle, qui fait la grimace. L’alcool de riz semble lui brûler les lèvres. Les convives éclatent de rire. Le silence revient. Une longue et douce prière monte comme un chant. De concert, tous récitent un seul mantra dont l’énergie bénéfique embrase l’atmosphère comme un feu. Les mariés resplendissent d’une lumière spirituelle magnifique. Les convives vibrent d’une émotion délicate. Bastien et moi nous regardons avec des larmes aux yeux. Cette ambiance d’union mystique, dans une demeure de bois ancestrale, au cœur de la cité sacrée, est d’une grande émotion. (…)

Puis les mariés posent devant l’objectif d’un photographe. Je m’amuse à observer les attitudes amoureuses incontournables, à jamais immortalisées. Je me dis que Bastien et moi avons porté des vêtements identiques et adopté les mêmes postures… Nous échangeons un regard enchanté. (…)

Le lendemain, dans un temple ancien orné de peintures précieuses, mon fiancé désire que nous formulions une promesse d’amour, à l’image des époux d’Asie. Dans le silence rougeâtre du vieux temple bouddhiste, une énergie sacrée nous caresse. Quelque chose est scellée dans l’invisible. Comme un lien magique et indissoluble. Le vent de la nuit glisse des cieux. Nous quittons le lieu saint. Bastien m’enlace comme un époux éternel. Je suis transfigurée de bonheur. Notre voyage est une longue lune de miel. Nous devenons les héros de notre quête.

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