Mon Odyssée dans les Balkans, BULGARIE

Obzor

Sentiment océanique un jour de pluie

Je poursuis mon exploration de la côte de la Mer Noire, en ralliant la bourgade d’Obzor, qui s’appelait jadis dans la Grèce antique Héliopolis, « la ville du soleil ». Comme je voyage hors saison, je suis ravie de découvrir ce village au mode de vie traditionnel, complètement vide. Les fidèles qui vouent un culte au Dieu Soleil ne sont pas encore arrivés pour prendre d’assaut la plage. Le ciel est couvert et dévoile des volutes noirâtres qui défilent lentement tels des fantômes menaçants et incontournables. Je trouve à me loger chez l’habitant à deux pas de la mer, dans une jolie maison au jardin fleuri, où des effluves de roses vous accueillent amplement. Malgré une décoration vieillotte datant des années 60, je suis ravie de m’offrir un espace tranquille pour écrire et relater mes aventures. Je décide de flâner le long de la grève, avant que n’éclate l’orage et que vienne la pluie. Je déambule sur le sable sous des rafales de vent venues du large qui revigorent mon énergie. Dans un restaurant près de l’eau, je déjeune d’une salade grecque et d’une limonade artisanale au gingembre puis poursuis ma balade rafraîchissante. J’ai toujours aimé l’intensité des forces de la nature avant une tempête. Quelque chose d’effrayant et de mystérieux se prépare dans le ciel, l’énergie électrique est toujours palpable comme une évidence irréfutable. Les prémices de l’orage m’ont toujours à la fois, fait frémir et excitée. Les claques du vent, les nuages qui se gonflent d’eau, les changements de tonalité du ciel, les nuées ébène se reflétant dans la mer assombrie par l’ampleur des vagues, tout cela m’évoque une poésie délicieusement ténébreuse, me révèle une image puissante des cycles des éléments et des saisons. Je découvre face à la mer des anciennes demeures bourgeoises d’un demi-siècle, décaties par les vents et les âges, déglinguées par l’abandon. Elles dégagent une certaine mélancolie comme une présence nostalgique d’une époque dont personne ne se souvient et semblent tenir bon malgré un effondrement inévitable. A demi-écroulées, usées par les milliers de soleils et de pluies, délavées par les embruns salins, elles trônent pourtant majestueusement au-dessus de la longue plage du bourg, jadis un village de pêcheurs. Ces maisons élégantes qui ont connu leur heure de gloire révélant un faste certain, semblent témoigner maintenant d’une époque révolue, à l’image de vieilles dames, gardiennes des histoires et des contes de la région. Je marche jusqu’au bout de la baie et m’installe sur un rocher pour méditer face à l’énergie de l’eau. Tranquillement, je contemple les vagues et les rouleaux de plus en plus fougueux qui vont et viennent inlassablement sous les nuages vagabonds. Le ciel devient sombre et se mouchète d’un noir d’encre. J’observe que chaque vague qui s’échoue sur le sable et qui se retire se mêle à la suivante, qui survient pour s’échouer à son tour. Je croyais que les vagues s’avançaient puis se rétractaient séparément, à la suite les unes des autres, mais je vois que c’est tout le contraire. Elles se rencontrent dans une tension, par des mouvements contraires. Lorsque l’une recule pour rejoindre à nouveau l’océan, l’autre s’avance vers la plage. C’est à cet endroit du seuil qu’elles dialoguent et fusionnent, à chaque fois et dans toutes les mers du monde. Un sentiment océanique me traverse, comme une claire-voyance formidable, une compréhension soudaine. Il me vient que les vagues se mêlent telles deux polarités complémentaires et indissociables, à l’image de tout ce qui existe sur terre. Les vagues s’épousent inéluctablement, s’unissent en tout comme la beauté à la laideur, la grâce à la déchéance, à bonté à la cruauté, la passion à la dépression, la tendresse à la violence, l’extase à l’horreur, à chaque instant, simultanément, ici comme ailleurs, maintenant à l’autre bout du globe. Il m’apparaît alors que chaque prise de conscience des réalités mystiques peut s’accomplir tout autant dans la quiétude d’un lieu inaccessible et silencieux qu’au cœur du tourbillon de la vie, baigné de larmes et de souffrances. Car tout coexiste toujours en même temps, entremêlé comme les fils de couleurs qui dessinent les motifs d’une broderie sur la grande fresque de la vie. A l’image d’un grand océan, serein et agité à la fois. Ainsi il n’y a pas de lieu ni d’heure pour aimer, pour se perdre, pour se réjouir ou pour recevoir une vision poétique. A chaque lacet de la route, une chose et son contraire peuvent fasciner ou effrayer. Les vagues dansent leur étreinte tantrique, le ciel gronde ses noires promesses. Tout est parfait en ce monde de dualité. Tout est juste. L’enfant qui court sur la plage, la veille qui crie, le couple enlacé qui jubilent. A l’instar de mon voyage, à chaque tours et détours quelque chose m’attend d’une certaine coloration. Aujourd’hui un sentiment de tristesse m’envahit. Un vide à la fois irrésistible et angoissant de plonger dans la création de ce récit et de creuser, mot après mot, le sillon dans la terre de ce livre. Le vent souffle sa folie sur les vagues déchaînées, le ciel devient l’empire des ténèbres. Malgré mon vague à l’âme, je pressens un chemin d’espoir et de vitalité d’aller vers soi, en profondeur. Alors je m’abandonne à ce tout insondable, à cette vérité nue. Les premières gouttes de pluie jaillissent du ciel grondant. Puis se déversent avec frénésie sur le décor détrempé qui ne ressemble plus à rien. Je cours à perdre haleine, ruisselante sous la pluie battante et rentre chez moi. L’écriture, mon austère amie, m’attend de pied ferme par-delà les orages et les intempéries.

Baltchik

Baltchik

La ville portuaire abritait des peuplements depuis le 4 et 5 -ème millénaire avant JC. Puis les Thraciens, les Grecs, les Romains, les Celtes et les Ottomans s’installèrent dans ce haut lieu, en bordure de la Mer Noire. Ainsi des peuplades venues du nord, nomades et semi-nomades, s’installèrent dans cette baie radieuse. Par la suite les Thraciens s’y implantèrent vers le 13 et 12-ème siècle avant notre ère. A l’époque hellénistique la cité connut son apogée. Elle s’appelait alors Dionysopolis, en honneur du Dieu des plaisirs. Ovide écrivit que la cité, qu’on distinguait par la mer en arrivant en bateau, était d’une beauté incomparable, avec son port élégant, ses riches demeures, ses vastes temples et ses rues marchandes et animées.

Au musée archéologique, j’ai l’immense privilège de découvrir les vestiges, sculptures, décorations d’un temple exceptionnel qu’abritait la cité antique de Dionysopolis, dont l’originalité et la singularité intriguent encore les archéologues. Il s’agit d’un temple d’une importance capitale, dédié à la Déesse Mère, reine des dieux, Cybèle, construit vers 300 avant le Christ. Lors de fouilles, de magnifiques sculptures de marbre de la déesse ont été exhumées. Elle est représentée sur son trône, accompagnée d’un chien. Elle incarne la grâce et la puissance royale, les cheveux coiffés de nattes surmontées d’une couronne. Le travail des artisans de l’époque reste stupéfiant. Un important culte lui était destiné, fait de prières et de cérémonies au féminin. On rendait hommage et célébrait cette divinité originelle, créatrice du Cosmos, des divinités et des hommes. Le gigantesque temple était bâti de manière impressionnante et était connu par-delà la Mer Egée. Au cœur du sanctuaire de la Déesse Mère, il avait un espace rituel pour un feu sacrificiel, où l’on faisait des offrandes à la divinité nourricière et à son fils, le Dieu solaire Hélios, dont une superbe sculpture a été retrouvée. Mais ce fameux temple brûla lors d’un incendie puis abandonné, tomba dans l’oubli. Dionysopolis sera détruit plus tard par une immense catastrophe naturelle tel un tsunami suivi d’un tremblement de terre. Lors de la conquête romaine, les Romains la reconstruisirent et édifièrent des fortifications qu’ils nommèrent Karnuva. Elle devint alors une ville prospère autant que luxueuse. Des bateaux marchands abordaient à son port pour faire des échanges, venus de Venise, de Grèce ou de Turquie. Mais une fois encore l’apogée romaine subit un déclin inéluctable, puis après maintes péripéties la cité fut conquise par les Byzantins puis enfin par les Ottomans intrépides, que rien ne pouvait arrêter dans leur soif d’expansion et de domination. Ils construisirent alors des mosquées avec de beaux minarets et des fontaines serties d’inscription en arabe, que l’on peut toujours voire lors d’une balade dans la vieille ville. Plus tard, la cité devint une ville renommée pour aristocratie Bulgare et Roumaine. La reine Marie de Roumanie, adulée par son peuple, s’installa dans la cité à l’histoire immémoriale, dans une majestueuse résidence d’été au bord de la mer Noire. Le palais de la reine Marie fut construit par son époux Ferdinand de Roumanie dans les années 1920. Elle y fit construire le sublime jardin botanique et son palais orientaliste. Immense et splendide, il s’étire sur la colline, verdoyant, fleuri et luxuriant comme les jardins du Paradis. Il s’étale à flanc de mont face à la plage de sable. La reine était considérée à son époque comme la plus belle femme du monde occidental. Elle était dotée d’un goût exquis, d’une sensibilité d’artiste et d’une étonnante personnalité, éprise d’art, de beauté et de liberté. Elle fit aménager ses jardins extravagants. Dans ce bain d’une opulente nature, une harmonie inouïe donne le ton. Des cyprès s’alignent avec poésie, des allées grandioses de roses débouchent sur un bassin, sous des colonnades orientalistes. Noyé dans la verdure, un cours d’eau finit en cascade, entouré de bâtisses traditionnelles telles des fermes pittoresques dotées d’un moulin à vent. Des espaces ombragés sous les arbres invitent à la rêverie. Devant la villa du Prince Nikolai s’étire une gigantesque roseraie qui domine la mer. Au gré de la balade, je déambule sous des arches ombragées de buis taillé, près de grands arbres centenaires, longe un bassin entouré de magnolias au parfum enivrant. Cela me fait songer au hameau de Marie-Antoinette, à Versailles. La promenade s’apparente à un rêve enchanteur. Le palais qui se dresse au pied de la colline semble protégé dans un écrin pur de verdure. Etrangement, la construction princière ressemble à une mosquée avec son minaret ou à un château de conte de fée, qui révèle incontestablement l’originalité de la reine. L’intérieur est à la fois orné d’un style byzantin et oriental, exquis décor dont un bain royal qui s’apparente à un hammam doté de vitraux colorés. Des photographies de la magnifique reine sont exposées sur les murs. Elle me fait l’effet d’une star de cinéma avant l’heure, vêtue en apparat orientaux ou en robe de princesse décorée de somptueux bijoux. Je me laisse envoûter par le charme fascinant de cette femme magnifique autant que farfelus. A l’extérieur, sur une terrasse face à la mer, il y a son trône de marbre, où elle aimait rêver, s’évader, voyager. De quoi m’enchanter. Il va sans dire que je m’y installe et médite au cœur de ce spectacle vibrant la béatitude.

Le lendemain matin, je me rends au cap Kaliakra, qui se trouve vers le nord, en direction de la Roumanie. C’est une pointe d’une hauteur vertigineuse qui surplombe la mer et ses impressionnantes falaises. Je rallie en bus le petit village de Kavarna puis prends un taxi pour regagner ce bout du monde, balayé par les vents. Milan, le chauffeur, est fort aimable et semble heureux de me faire découvrir ce coin de nature singulier et remarquable. Nous traversons un vaste paysage dégagé sous le ciel cotonneux, longeons des cultures céréalières, les champs de maïs et de tournesols. Il m’explique que jadis cette région fertile était le grenier à blé de toute la Bulgarie et l’est sans doute toujours, affirme-t-il en rigolant, fière d’appartenir à une région abondante si précieuse. Nous rejoignons la pointe qui domine de faramineuses falaises qui se jettent dans la mer. Le ciel s’assombrit et nous fait sa promesse de pluie. Pourtant, je pars à la découverte de ce site insolite et m’aventure sur le long promontoire rocheux qui domine la Mer Noire. Les falaises escarpées se jettent avec fureur dans le vide jusqu’aux eaux tumultueuses. Au fil des millénaires, ce lieu d’exception, de par sa localisation exceptionnelle, fut toujours un endroit stratégique, convoité par les conquérants. On y retrouve les Thraciens, les tribus d’origine, puis les Romains qui édifièrent les fortifications et la citadelle. Au gré des batailles, les Ottomans finirent eux par s’emparer de ce lieu mythique unique en son genre. Aussi l’empire ottoman gagna la bataille décisive, même si ce site connut une grande résistance bulgare lors de l’expansion incroyable des Turcs au 15ème siècle. Je déambule le long des murailles romaines datant du 4 -ème siècle avant JC. Et découvre entre les ruines des thermes édifiées face au vide éperdu. Maintenant des coquelicots et des violettes y poussent tranquillement. Aussi les vestiges d’une église bulgare, image poétique du bout du monde. Le vent du large se lève. Je poursuivis ma balade fascinante. J’apprends que des légendes s’y racontent depuis des temps immémoriaux. On dit qu’Alexandre le Grand, lors de ses campagnes militaires, se serait installé sur les hauteurs de ce site incroyable et qu’il aurait caché un trésor dans les falaises impraticables afin de poursuivre son inépuisable conquête vers l’Est. On raconte aussi que lors de la prise de Kaliakra pour l’empire ottoman, 40 jeunes filles bulgares se seraient jetées par désespoirs des hauteurs effrayantes pour échapper au joug de l’ennemi. Cependant, lors de cette chute irréversible, elles se seraient attachées les cheveux ensemble pour ne pas être séparées dans l’au-delà. Je reviens à Baltchik pour une balade du front de mer qui offre à voire ses baies, ses minuscules criques, ses ports de pêches et de plaisance. Dans une ambiance d’allégresse, je dîne d’une salade végétarienne face port. Les voiles des bateaux s’agitent dans la brise marine. Le soleil glisse avec délectation dans la mer changeante. Je contemple les nuées cotonneuses translucides aux prémices du couchant. Etrangement, elles ressemblent aux touches impressionnistes blanches que les peintres créent pour peindre les cieux, alors qu’elles sont censées incarner l’original. Une pure poésie se dégage du décor, où harmonie et beauté s’unissent ici et maintenant comme il y trois mille ans.

Tryavna

Tryavna

Balade dans la vieille ville

De Veliko Tarnovo, je m’achemine en train à travers la montagne jusqu’au village historique de Tryavna, réputé pour sa beauté médiévale et ses ateliers artisanaux de sculpture sur bois et de peinture d’icônes religieuses. Un vieux train datant de l’époque communiste fend une forêt onctueuse, contourne des falaises calcaires, longe des rivières chatoyantes qui déferlent au cœur de l’écrin d’une impénétrable nature. Il fait halte ici et là dans des petits villages de la région. Ce court trajet en train est un voyage dans le temps. Il me semble être transportée il y a un demi-siècle. Dans chaque gare, à la décoration veillotte, un chef de gare en uniforme siffle pour annoncer de départ du train. Crachotant, il redémarre dans un grincement d’essieux et un sourd râle de moteur. A l’arrivée, je traverse la vieille ville, une perle rare, pour me rendre dans ma guesthouse en plein cœur de l’ancienne cité. Adossée à une colline verdoyante, Tryavna était depuis le 17ème siècle une cité réputée pour les talents incomparable de ses bâtisseurs, de ses sculpteurs sur bois et de ses peintres d’icônes. Leur art exceptionnel rayonna à travers toute la Bulgarie. Comme il est encore tôt, je dépose mon sac à dos à mon logement, puis me promène à travers ce joyau architectural. Les vieilles églises et les constructions Renaissance bulgare illustrent le savoir-faire d’antan au charme suranné. Sur la charmante place centrale, je visite l’ancienne école, une magnifique bâtisse de pierre rectangulaire au toit de lauzes, entourée d’une galerie de bois tel un balcon radieux et fleuri donnant sur une cour ombragée. Ce fut l’une des premières écoles laïques du pays, fondée au 19 -ème siècle grâce à un riche marchand de la ville. Il dédia sa fortune à sa communauté. Le premier étage était destiné à l’école tandis que le rez-de-chaussée donnant sur la cour à l’artisanat, où le bois et le cuir étaient travaillés dans des ateliers. En ces temps-là, lors de l’occupation ottomane, l’éducation bulgare étant interdite, certains prêtres et artisans décidèrent en catimini d’apprendre aux enfants à lire et à écrire grâce à des livres religieux. Il était primordial que la langue et les traditions puissent perdurer malgré le joug turc. Dans une ancienne salle de classe, les pupitres sont emplis de sable afin que les élèves apprennent à dessiner les lettres avant de les tracer sur l’ardoise, un groupe d’enfants est en sortie scolaire. Comme à l’accoutumée, ils sont excités et s’esclaffent pour un rien. Leurs rires d’une joie explosive retentissent comme un rappel d’un temps lointain, qu’ils font soudainement revivre dans une pure gaité. Juste à côté se trouve une célèbre église datant du 12ème siècle, brûlée par les Ottomans puis reconstruite au 19ème siècle lors de la Renaissance bulgare. Son apparence est des plus originales. Elle est faite de briques de pierre, surmontée d’un toit en lauzes et pentu et d’un clocher de bois noir. Mais le plus étonnant est le fait qu’elle soit souterraine à l’image des mosquées soufis de l’empire. Je me fais la réflexion que les générations passées ont connu beaucoup d’oppressions et ont dû se battre pour recouvrer leur liberté et leur pleine identité culturelle. Dans ce lieu chargé de magnétisme, une magnifique iconostase rayonne en une délicieuse pénombre. Je contemple ce géant chef d’œuvre de bois finement ciselé qui sépare la nef du sanctuaire. Il est baigné d’un halo entre ombre et lumière, qui confère à l’église une atmosphère de recueillement et de spiritualité. Je médite un temps suspendu en plénitude puis sors à l’air chaud me balader enfin sous le soleil. Un ravissant pont de pierre en dos d’âne traverse une verte rivière. Elle conduit à la célèbre venelle des ateliers d’art et d’artisanat. Dans d’élégantes demeures traditionnelles, aux fondations de pierres blanches réhaussées d’un étage qui s’avance comme un balcon sur la rue, des ateliers ouvrent leurs portes aux visiteurs. On y trouve des poteries traditionnelles, des icônes peintes et surtout des sculptures sur bois, la spécialité du village depuis le temps glorieux de la Renaissance bulgare. Je défile le long des échoppes, des galeries d’art ou des ateliers d’artisan. Je pénètre dans la boutique d’un jeune homme fort sympathique. Il m’explique qu’aux murs sont accrochés des objets utilitaires réalisés par ses soins tels que des horloges, des encadrements sculptés d’icônes, des planches à découper. Stanislav m’explique qu’il s’est installé ici, il y a plusieurs années, quittant de Sofia, afin de se former à la très réputée école de sculpture sur bois de Tryavna, qui existe depuis le 19ème siècle. Enjoué, il me raconte qu’il se plaît à réaliser des créations destinées aux Bulgares venus de la capitale ou de Varna, car ils ont le plaisir de découvrir ce qu’ils n’ont pas chez eux et qui fait toute la richesse de la région. Je le remercie chaleureusement pour ces instants simples de partage. Plus loin, je fais la connaissance d’une femme vive et dynamique, dont l’échoppe se trouve juste en face. Elle m’accueille d’un grand éclat de rire et me propose de savourer un vin local aux fruits. Elle se prénomme Stefka et rit comme elle respire, en une joie communicative intarissable. Dans l’allégresse, je goûte avec délectation le vin sucré et boisé qui fond dans mon palais. Je la remercie pour le présent délicieux puis pénètre dans son magasin adorable qui recèle des toiles en petits formats de paysages du village, déclinés à toutes les saisons. Je contemple ses icônes orthodoxes peintes représentants la Vierge à l’enfant ou Seigneur Jésus, sur fond de dorures ornées d’ardentes couleurs. Une dévotion intense se dégage de ces tableaux de tradition millénaire. Je quitte Stefka, l’âme revigorée puis décide de rendre visiter à un artisan sculpteur dont l’atelier n’est pas loin. Le grand atelier où travaillent plusieurs artistes dégage une énergie d’antan. Des parfums de forêts se diffusent dans l’air. A quelques détails près, il devait ressembler fort à ceux du passé grandiose de ce village d’artistes. Valentin vient à moi, heureux apparemment d’avoir de la visite et de faire salon avec une voyageuse. Je lui explique que je pérégrine à travers les Balkans à la recherche de villages traditionnels, de sites historiques ainsi que de rencontres authentiques, afin de recueillir des histoires, des connaissances, des sensations pour l’écriture d’un livre. A cela il me répond que j’ai bien fait de visiter son antre foisonnant de création. D’un ton didactique, il me raconte sa passion, son métier de sculpteur sur bois. Il me confie qu’il travaille dans cet atelier depuis 28 ans, qu’il partage avec deux femmes, ses acolytes, ainsi qu’avec son maitre. Il lui a appris dans sa jeunesse les secrets de ce rude et savant métier artisanal. Valentin s’exprime d’une voix forte comme s’il cherchait à enseigner des bribes de ce savoir à la novice que je suis. Mon regard se pose sur les murs où sont exposés de merveilleux tableaux de bois, décoratifs et pieux. Valentin me confie que ce sont les réalisations de son maître. Je découvre des madones sculptées admirablement, d’une finesse extrême, dont les visages sont cerclés de frises de fleurs et de fruits. Mon regard s’arrête sur une icône représentant Saint Georges terrassant le dragon. Le sculpteur me précise alors que dans l’orthodoxie bulgare, ce saint est révéré et grandement représenté. De tout temps, il a aidé le peuple à surmonter les difficultés liées aux 500 ans de domination ottomane, puis à celles de plusieurs décennies de la dictature communiste. Sur l’icône de bois qui vibre de beauté tant sa réalisation est parfaite, un petit enfant est assis sur le dos du cheval que chevauche le saint. Amusé, il me demande si j’ai une idée de l’identité de ce personnage. J’éclate de rire à cette question absurde. Valentin m’explique alors qu’il s’agit des pauvres enfants sacrifiés qui étaient volés aux familles bulgares par les armées ottomanes dans le but d’en faire des soldats musulmans pour servir l’immense et puissant empire. Il s’agit des janissaires. Comme cette terrible coutume était d’usage pendant des siècles, les familles se désespéraient d’une part de ne jamais revoir leur enfant, et d’autre part, de sentir que les lignées bulgares étaient en train de se perdre au fil du temps au profit de la culture et des traditions dominantes. Alors la force irréversible et batailleuse de Saint- Georges leur était très précieuse pour résister à l’oppresseur et pour transmettre, en dépit des circonstances, leur culture et leurs rites dans le secret, de génération en génération. Deux sculpteuses surgissent dans l’atelier puis se mettent au travail tranquillement. Valentin fait alors de même. Je regarde la scène comme un spectacle initiatique. Dans un silence concentré, on entend les coups de maillets résonner. Ils semblent se répondre d’un établi à l’autre. Valentin travaille sur une grande pièce taillée dans du bois de noyer. Elle représente un large encadrement décoratif réhaussé d’ornementations de frises fleuries et végétales. L’œuvre sera installée dans une niche, derrière laquelle trônera une icône peinte. La réalisation de cette pièce lui prendra près d’un mois. Elle est destinée à un particulier, comme il est encore de coutume dans de nombreuses familles bulgares. Je contemple ces artisans travailler avec des outils variés selon s’ils creusent, poncent ou lissent le bois. D’une patience d’ange, avec des gestes répétitifs et précis, ils communiquent avec la noble matière des forêts pour donner corps à une forme, à une histoire, à une émotion. Je les regarde encore s’appliquer à la tâche avec douceur, dédiés corps et âme à leur création afin de faire jaillir la beauté raffinée d’une matière brute et sauvage. Emerveillée, je sens que l’émotion monte crescendo en moi. Je suis touchée de voir se dérouler sous mes yeux ce dur labeur initiatique et sacré. Et les félicite intérieurement de vivre pleinement leur vocation et de réaliser leurs rêves pour enchanter le monde. Sans plus les déranger, je m’éclipse de l’atelier, à pas de loup et rejoins le pavé brillant de soleil de la rue des arts. Je remarque de nombreuses personnes âgées marchant péniblement, à l’aide d’une canne sur les cailloux inégaux de la venelle ou assis sur un banc de bois, à l’ombre d’un patio ou d’un parc fleuri. Ils bavardent ensemble ou se saluent les uns les autres d’une voix forte et joviale. Une sérénité douce se lit sur leurs visages qui ont traversé le siècle en dépit des vicissitudes vécues. Comme c’est le jour de marché, les vieillards se promènent lentement pour faire leurs courses et bavarder entre amis et voisins. Un tel lien ne peut que les rendre heureux.

Je découvre une maison traditionnelle à visiter, nommée Daskalov. La demeure est une merveille entourée d’un agréable jardin fleuri, un trésor architectural du 19ème siècle doté de colonnades sculptées qui soutiennent l’étage de bois noir. Cette demeure appartenait à un riche marchand de soie et d’huile de rose. Il fit appel au plus célèbre sculpteur sur bois de la ville pour édifier la maison qui correspondait à ses désirs. Je pénètre dans l’espace frais de l’ancien atelier de sculpture sur bois, donnant sur le jardin. On y trouve des cadres d’icônes absolument renversantes, ornées de végétation, de fruits opulents ou de fleurs esthétiques de formes circulaires et voluptueuses. Etourdie, je me demande combien d’heures de travail ont été nécessaires pour la réalisation de ces chefs d’œuvres inimaginables, appartenant dorénavant à un faste passé. Je grimpe à l’étage qui offre une vue délectable sur l’espace vert qui invite à la détente. Hallucinée, je découvre un statuaire remarquable des rois bulgares, finement ciselés ainsi que des portraits de bois, exquis et uniques en leur genre, dont l’excellence flirte avec la perfection. A l’instar des portraits traditionnels réalisés en peinture, qui étaient d’usage dans les milieux aristocratiques ou bourgeois à travers toute l’Europe, les sujets en pose figée, parés de leurs plus beaux costumes, sont encadrés de frises chatoyantes, sculptées avec soin, mettant en valeur d’illustres personnages. Je n’en reviens pas de cette vision. Jamais nulle part dans le monde, je n’avais vu des portraits sur bois des figures historiques d’un pays. Pour honorer ce plaisant moment en ce lieu fascinant, je me rends dans le jardin parfumé et offre ma méditation de pleine vacuité à un vieil arbre centenaire qui trône magnifique au sein d’une douceur édénique. Dans l’invisible, une communion se crée entre l’arbre et moi. Des fluides d’énergies s’échangent entre nous, en toute spontanéité, dans la pureté de nos états d’être de l’instant. Il me semble que nous nous régénérons ensemble, nous apportant un cadeau chamanique de connexion sacrée et protectrice avec un autre règne, telle une opportunité formidable de se relier à soi et au cosmos. Le temps s’absente de l’univers. Tranquillement, je reviens à moi et poursuis ma balade réjouie. Au gré de ma déambulation, je contemple des images pittoresques de maisons anciennes au bord de la rivière chantante, des clochers gracieux qui se hissent dans le bleu du ciel, des cafés séduisants aux terrasses fleuries. Et tombe sous le charme de ce village aux mille et un talents. Le soleil réapparaît comme un dieu satisfait après ces jours d’orage. Je me laisse envoûter par mon escale d’allégresse. A une terrasse ombragée, je savoure une crêpe au miel et aux noix avec un chocolat chaud et dans une extase subtile, me laisse toucher par la magie du pouvoir spirituel de la beauté.

Icônes sacrées

Le matin suivant, dans une rivière de soleil, je grimpe la colline à travers la forêt afin de rejoindre le fameux musée des icônes dont les œuvres ont été réalisées à l’école de Tryavna entre le 17ème et le 19ème siècle, lors de la Renaissance bulgare. Il abrite une collection exceptionnelle, une des plus riches du pays par son ancienneté, sa beauté et sa rareté. Comme l’art de l’icône se transmettait de père en fils au fil des générations, la ville a vu naître 6 grandes lignées de peintre au talent foisonnant, dont les plus célèbres sont les familles Vitanov et Zachariev. Je suis excitée d’infuser à nouveau au cœur de la pure beauté, que des générations d’artistes ont fait éclore par leur rigueur, leur obsession, leur amour, et dont les visiteurs peuvent encore se nourrir de nos jours. La forêt offre des ombres délicieuses qui font danser les branchages. Le soleil apparaît par intermittence comme un magicien rieur. Des fragrances de fleurs, d’écorce et d’humus m’envirent avec tendresse. Je grimpe des marches d’un escalier. Il coupe à travers les bois, où de grands pins parfumés embrassent l’azur du ciel. J’arrive sans plus tarder au musée. Une jeune étudiante charmante me donne mon billet puis m’explique en anglais ce que dois savoir pour apprécier le voyage dans l’art sacré. Avec un sourire enjoué, elle se lance dans un passionnant récit. Ingénue comme une représentation de sainte, je l’écoute dans le plus grand recueillement. D’une voix fragile mais sûr, la belle hôtesse me donne un cours d’histoire sur la pratique sacrée de peintre d’icône. Je bois ses paroles. Habitée d’une vibrante lumière, Eva raconte : « l’art de l’icône s’est développé à Tryavna, au moment où s’est ouverte une voie d’une nouvelle époque pour le peuple bulgare, un réveil national essentiel dès la fin de la domination ottomane. Comme les constructions dans la ville s’intensifient, des églises sont édifiées et avec elles, les besoins ardents de peintres d’icônes et de sculpteurs sur bois. La cité devient alors le berceau originel des centres artistiques de ces spécialités artisanales et acquiert une renommée dans toute la Bulgarie. L’école iconographique voit le jour dès le début du siècle des lumières, mais puise ses racines dans l’héritage laissé par les anciens du deuxième royaume de Bulgarie, influencé par les monastères renommés des siècles passés. Cependant, la grande différence réside dans l’approche et dans le style du traitement des figures religieuses. Là où les maîtres d’antan dépeignaient des saints représentés avec des visages ascétiques aux teintes sombres, empreints d’une souffrance sacrificielle, l’école nouvelle offre des vêtements chatoyants et luxueux au panthéon orthodoxe ainsi que des expressions de sagesse et d’éveil sur les visages des figures religieuses. Ainsi, l’institution artistique devient un espace de création renouvelé, vivant, dans l’esprit de raffinement et de savoir, propre au 18ème siècle. Elle atteindra son apogée à la fin du siècle et jusqu’au milieu du 19ème siècle. Ainsi les icônes s’éloignent du style moyenâgeux et s’ouvrent à un épanouissement plus vaste, influencées par un monde contemporain, enclin à valoriser le beau, l’esthétique, le goût du baroque. Les ateliers iconographiques fleurissent dans la ville. Les maîtres travaillaient à la gouache puis plus tard à l’huile. »

Le silence se propage dans l’atmosphère cuivrée du musée. Je la regarde surprise. Malgré son jeune âge, elle porte en elle une étonnante détermination et des connaissances certaines. Un baume de douceur nous enveloppe dans la vaste chapelle froide. Je la remercie puis pénètre dans l’exposition. Un silence d’or règne, propice à l’élévation spirituelle. Je découvre des Maries à l’enfant somptueuses, enveloppées de soieries rubis ou vieux rose, auréolées de couronne d’or sur fond de bleu olympien, des Jésus tels des sages antiques vêtus de longs drapés vert de jade ou bleu océan, des Saint Georges achevant le dragon sur fond de forêt et de ciel pur, des saints guerriers aux mille teintes ou encore de Elies en pleine ascension sur un char de feu, tutoyant les nuages en une profusion d’or et de lumière. Les expressions sont radieuses, les couleurs joyeuses, les regards vivants et baignés de bénédiction. Un sentiment de gaité presque naïve se dégage de ces icônes sublimes réalisées avec un talent impressionnant. J’infuse dans ce bain explosif de couleurs, de luxe et d’éveil intérieur. Dans la dernière salle consacrée aux peintres primitifs du 19 -ème, qui ont suivi leur inspiration et leurs intuitions artistiques, je suis frappée par l’inventivité des créateurs. D’un art naïf et populaire, ces artistes ont réalisé des icônes sur des planches de bois inégales. Elles rayonnent d’une beauté émouvante, enfantine, ludique. Des Vierges à l’enfant, peintes d’un style original, donnent l’impression que chaque artiste suivait librement le cours à son imagination et de sa fantaisie. Des frises entourées de fleurs multicolores encerclent les mères divines, d’un style premier expressif qui souligne la symbolique sacrée et rituelle de la peinture. Une icône de l’Annonciation s’apparente à une toile de Chagall, d’une touche symbolique, poétique et onirique. Dans un ciel bleu nuit étoilé, l’Ange Gabriel flotte sur un nuage, les ailes déployées, couleur pierre de lune, un bouquet de fleurs blanches à la main, face à Marie, vêtue d’un habit de reine, se promenant devant une église multicolore en apesanteur dans les airs bleu marine, où la présence de la foudre divine recèle une note mystique. Je me fais absorber par la magnificence sensible de cette réalisation première, libre de toute coutume et usage. Un voyage sensoriel au cœur de la poésie picturale. Lorsque je quitte le musée, Eva m’attend avec un air énigmatique et un sourire débordant. Elle me confie, émue, qu’elle a quelque chose à me révéler avant que je ne parte. Amusée, je la prie de mon confier son irrésistible secret. Je suspendue à ses lèvres. Ménageant son effet comme une actrice, la délicieuse Eva m’avoue qu’elle aussi est iconographe. Je la regarde abasourdie tandis qu’elle continue à me raconter son histoire, un suave sourire aux lèvres. Elle me dit que cela fait 4 ans qu’elle est étudiante à la fameuse école d’iconographie de la ville et qu’elle commence à réaliser des œuvres religieuses dans un atelier pour des musées ou des particuliers. Avant même de finir sa phrase, elle empoigne son téléphone portable pour me montrer une photographie de sa dernière icône réalisée. Ce sont deux saints, somptueusement parés, qui figurent au paradis. Je regarde l’image attentivement : une précision s’y dessine. La grâce est palpable. L’élégance et la perfection aussi. Je regarde Eva, subjuguée. Je n’en reviens pas de son talent, de son trait de génie, de sa maîtrise absolue de cet art centenaire. Troublée, je la félicite à profusion, tandis qu’elle éclate d’un rire juvénile et cristallin. Je lui fais promettre de toujours suivre son chemin de lumière et sa vibration unique, en harmonie avec la vie. Pleine de tendresse, elle me remercie d’un cœur d’enfant. Je traverse la forêt des papillons dans le ventre et des larmes dans la gorge. Les oiseaux sifflent une singulière sonate, perchés dans les arbres opulents, telle une ode à l’existence extraordinaire et au miracle du voyage. Une joie originelle et transcendantale me traverse comme une pluie de paillettes cosmiques. Il me vient que la vie incarne un jeu divin et que le monde ressemble à une malle aux trésors foisonnants. 

Sofia

Sofia

L’histoire de Sofia

A travers les musées qui racontent l’histoire, l’archéologie ainsi que l’ethnographie de cette cité ancienne, je découvre les mille et un visage de la capitale, berceau de la Bulgarie. Les origines de Serdica remontent à l’ère néolithique. Les fouilles archéologiques ont révélé des traces de peuplement humain sédentaire qui pratiquait l’agriculture au 6ème millénaire avant notre ère. Durant la période chalcolithique qui date du 5ème millénaire, les sources d’eau chaudes au cœur de la cité attirèrent irrésistiblement les populations des origines qui utilisèrent ces ressources naturelles providentielles. Plus tard, les Thraciens firent de même ainsi que les Romains, les Byzantins ou les Ottomans, ce qui offrit à la cité son aura particulière, son rayonnement et sa prospérité remarquable. Les fontaines d’eau chaudes continuent de jaillir dans la vieille ville depuis des temps immémoriaux, ce qui séduit les habitants, les voyageurs, les touristes qui s’y lavent ou remplissent des bombonnes pour bénéficier des propriétés thermales des eaux. Dans l’Antiquité la ville devient un carrefour entre l’Asie mineure et le Moyen-Orient, entre la mer Baltique et la mer Egée. Les trésors archéologiques du Néolithique et du Chalcolithique ont révélé à travers des artéfacts, des objets d’usage courant ou artistiques, la prédominance de cultures multiples des âges reculés. Aussi les excavations ont mis à jour des merveilles uniques appartenant à la période thracienne, hellénistique, ou romaine. La vallée de Sofia faisait partie de l’empire romain avec l’établissement de la Thrace en province romaine lors des innombrables conquêtes de l’empire. Il voit les sources naturelles de la ville de Serdica comme d’immenses possibilités de prospérité. L’empereur romain Marcus Aurellius au 1er siècle de notre ère puis plus tard Aurélien établiront les provinces romaines le long du Danube, avec la cité de Serdica en son centre. Ainsi au 2ème siècle de notre ère la cité fut fortifiée afin de se protéger des invasions barbares. Elle renfermait depuis ses origines un caractère multiethnique où différentes religions cohabitaient paisiblement telles que les croyances et les rituels du panthéon gréco-romain ainsi que la religion juive ou chrétienne. Mais le 3 et 4èmesiècles amèneront des changements importants dans l’empire ainsi que dans les provinces et redessineront le paysage de la cité antique. L’avènement de la Chrétienté, initiée par l’empereur Constantin va créer des bouleversements dans le paysage architectural de la ville et dans son expansion économique et sociale. Les vieux dieux païens seront abandonnés au profit de la propagation de la nouvelle religion devenue religion dominante. L’empereur qui adoptera la religion chrétienne choisit de développer de manière intensive la cité de Serdica, l’actuelle Sofia, qui devient ainsi une grande cité urbaine dotée de nouvelles fortifications. La ville prend alors un essor considérable avec la déclaration de Constantin qui énonce que : « Serdica est ma Rome ! « Plus tard l’empereur Justinien suivra son exemple. Mais c’est dans la dernière phase de l’Antiquité que la Basilique Sainte Sofia sera érigée. Son nom deviendra celui de la ville actuelle. Au 6èmeet 7ème siècles, des tribus slaves s’y installent. Par la suite, la ville sera annexée au 1er royaume de Bulgarie, puis conquise par les Byzantins et puis par l’empire ottoman.  

On a retrouvé en Bulgarie des traces de civilisations parmi les plus anciennes d’Europe, celles de populations sédentaires et de fermiers agricoles, datant du 6ème millénaire avant notre ère. Des objets ont été exhumés lors de fouilles dans la région de Kazanlak. On a retrouvé des récipients rituels de formes triangulaires, un squelette de femme endormie, des bracelets et des bijoux en ivoire de mammouth, des statuettes votives représentant des femmes aux larges hanches voluptueuses, des têtes zoomorphes, des coquillages percés servant de pendentifs, des statuettes expressives de divinités, des récipients anthropomorphes et zoomorphes, des outils de pierre, des restes de poteries peintes de spirales et de formes circulaires blanches, de la vaisselle dont des plats, des bols et des contenants de terre cuite couleur anthracite de toute beauté, des ustensiles de cuisine dont des cuillères, des mortiers et des pillons de pierre servant à moudre les céréales, de grandes poteries décorées de formes géométriques en relief, de grandes vasques, des contenants anthropomorphes, des pendentifs en ivoire de mammouth en forme de corps de femme, des statuettes rituelles.  

Envolées mystiques

Je retrouve Sofia après un périple épatant à travers toute la Bulgarie, qui semblait m’être destiné de toute éternité. Après plusieurs heures en train depuis le cœur du pays jusqu’à la capitale, il fait bon flâner dans le vieux centre historique, chargé d’histoire et de culture. Je déambule sous le soleil d’été, traverse un jardin fleuri de roses décoré de fontaines rafraîchissantes puis longe la somptueuse mosquée de briques datant de l’empire ottoman. Je découvre les anciennes fortifications de la ville, vestiges de la première cité nommée Serdica. Je poursuis mon chemin le long d’élégants boulevards qui bordent des espaces verts à l’ombre délicieuse jusqu’à la très renommée Basilique Sainte Sofia. Elle donna son nom à la ville au 14ème siècle. Je pénètre quelques instants dans l’antre tiède de cette élégante église de briques rouges anciennes au charme pittoresque. Puis rejoins la très célèbre et fascinante Cathédrale Alexandre Nevski. C’est le plus grand temple orthodoxe en Bulgarie et l’un des monuments incontournables du pays. Ce sanctuaire commémore la libération de la Bulgarie de l’empire ottoman en 1878, après la guerre russo-turque qui débuta l’année précédente. Elle rend hommage à tout le sang versé par les sacrifiés de ce conflit afin que le pays puisse enfin recouvrer sa souveraineté après cinq cents ans sous le joug ottoman. Sur le parvis immense, la cathédrale grandiose exhibe ses coupoles dorées. Elles scintillent sous la crue lumière du jour et illuminent le ciel blanc de chaleur. A l’instant où je contourne son imposante structure, dans un style néo-byzantin d’une grande majesté, les nombreuses cloches de ce lieu révéré se mettent à sonner en chœur. Un concert surprenant se déroule dans le clocher secret, d’où une série incroyable de sons de toutes les tonalités résonnent autour de la cathédral. Cette puissante euphorie, telle une intense cacophonique déploie ses fréquences vibratoires élevées aux alentours comme une offrande divine. La résonnance forte des cloches qui chantent toutes les notes sur la partition de l’amour s’apparente à une exhortation à la prière. Au-delà de toute croyance, cette liturgie de cloches fait naître en moi un sentiment de sacré, d’éternité et de connexion à l’invisible. Et cela me rappelle avec tendresse, les sons profonds des gongs à prière que les moines frappent avec dévotion dans les temples bouddhistes du Vietnam, du Laos ou du Cambodge. Je lève la tête quelques temps suspendus, vers ce superbe monument qui invite au silence. La basilique à cinq nefs, construite en forme de croix est couronnée par une multitude de coupoles, de demi-coupoles et de voûtes qui décorent avec une grâce céleste la grande coupole au centre. Etrangement le concert impromptu de cloches, à l’énergie vibrante, portail vers la méditation intérieure, se poursuit avec une rage angélique comme s’il ne souhaitait jamais s’achever. Je pénètre dans ce temple mythique. Un sentiment de fascination s’empare de moi face au narthex agrémenté de deux chapelles ainsi que de l’autel avec ses trois trônes. Dans une lenteur recueillie, je défile vers les cinq nefs du cœur de la cathédrale et admire les somptueuses ornementations faites de marbre multicolore, d’onyx et d’albâtre. Pas à pas, je chemine sur le sol du temple recouvert de mosaïque de marbre jusqu’à l’autel. Soudain, le concert des cloches cesse pour laisser place à des liturgies chantées. Un chœur bulgare composé de femmes et d’hommes accompagne un orchestre, installé sur la mezzanine en bois sculpté faisant face à l’autel. Des croyants surgissent dans le temple pour une messe qui démarre. Des voix féminines pures s’élancent dans la nef avec une luminosité frissonnante et transforment l’espace sacré en ode vocal au miracle de la Création. Des violons soulignent ces chants sublimes avec une virtuosité troublante. Le cadeau merveilleux de ce concert sacré d’une immense qualité m’apparaît comme un signe extraordinaire pour mon voyage d’écriture. A l’instar des Romantiques qui interprétaient les cycles des saisons, des pluies et des lunes comme une réponse de la Nature à leur amour, à leur désespérance ou à leur espoir, ces litanies chantées et musicales m’apparaissent comme un présent inestimable, une surprise cosmique venue m’encourager à poursuivre ma route à travers les Balkans. Une émotion incoercible s’empare alors de moi à l’heure de mon dernier jour dans ce pays foisonnant d’inspiration. Il me semble que des bribes d’histoire lointaine d’une richesse inouïe me soit parvenues afin que je les relate dans ce récit nomade. Le chant se poursuit avec délectation et dessine des bulles de silences ivres dans la cathédrale luxueuse. Un prêtre vêtu d’une tunique noire fait son entrée devant le trône pontifical et son baldaquin composé de quatre colonnes de marbre, reliées par des arcs. D’une voix forte, il entonne une prière chantée après chaque morceau lyrique accompagné en musique. En se déplaçant en cercle, Il agite avec vigueur un encensoir comme de coutume dans les rites orthodoxes, dont les fumées blanches et les délicates fragrances boisées colorent le chœur d’une note de mysticisme. Plusieurs moines participent au rituel de l’office face à l’iconoclaste de marbre d’une rareté inimaginable. Près de moi, une femme le regard doux et le visage rayonnant vient me parler à voix basse pour m’expliquer le déroulé de la cérémonie. La gentillesse qui émane d’elle me va droit au cœur. Elle me précise que maintenant une prière exceptionnelle aura lieu avec un évêque important de la ville, qui ne saurait tarder. En effet, le religieux fait son entrée en grande pompe. Il est accueilli par une haie d’honneur de moines, dont un qui le revêt d’une immense cape mauve et soyeuse afin qu’il s’achemine, paré tel un roi de légende, vers le trône royal, composé de quatre colonnes de marbre vert surmontées d’un baldaquin. Tous se lèvent d’un même souffle comme une chorégraphie rituelle. Les chants de soprano étirent leur splendeur flamboyante dans les silences bénies, entre les longues litanies récitées par le prêtre. Cette mise en scène théâtrale ne me parlant guère, j’attends le moment juste pour déguerpir discrètement mais la tendresse démunie de la femme à mes côtés semble vouloir me retenir. Avec une dévotion généreuse, elle me demande en chuchotant si je désire me faire bénir par l’évêque. Il se tient immobile devant le trône, orné de deux superbes lions couchés, sculptés dans la pierre avec un art admirable. J’hésite un instant. J’ai envie de dire non et de sortir à l’air libre. Mais je sens sur moi le regard brûlant d’amour de cette inconnue, que je ne désire pas offenser ou décevoir le moins du monde. J’acquiesce en souriant pour lui faire plaisir. Nous traversons le chœur jusqu’au trône royal, où le saint homme donne ses bénédictions aux fidèles. Une file se forme. Les voix grimpent aux nues dans des crescendos inimitables tandis que les violons virtuoses s’animent d’un rythme fou. Arrive mon tour. Je baisse les yeux par respect, lui prends la main, exécute une petite révérence tandis que l’évêque me béni avec une surprenante rapidité. Nous revenons à nos places. Pas eu le temps de sentir ce qui s’est passé énergétiquement. La femme me contemple, réjouit de notre partage d’âme. Avec un timbre profond, elle me confie qu’elle est heureuse que j’ai reçu une bénédiction sacrée. Elle me murmure, avec une expression jubilatoire dans le regard, que cela protégera mon voyage. Je la regarde interdite. Et suis soudain émue aux larmes que le ciel et les esprits m’envoient cette femme aimante pour me rassurer sur ma route vers l’inconnu. Me revient alors en mémoire la célèbre phrase qui définit la synchronicité : « Le hasard, c’est Dieu qui voyage incognito «. Un rire de joie monte en moi que je canalise en grand sourire pour ne pas perturber l’office. La femme plonge dans mes yeux, d’où jaillit une marée déferlante d’amour, que j’ai du mal à recevoir. Pourtant je plonge à mon tour dans les siens, où des ondes d’ivresse douce circulent à la vitesse de la lumière. Nous restons ainsi, hors du temps terrestre, les yeux dans les yeux, à déverser les jarres d’eau célestes de nos âmes qui se contemplent en miroir, par la lucarne de nos regards. Un vertige torride me saisit comme un baiser divin. Nous fermons les yeux. Les litanies achèvent leur dernière note, ornée d’un silence magnétique. Il me semble que j’ai quitté depuis bien longtemps l’espace de la cathédrale de Sofia. Un tourbillon soporifique me transporte ailleurs par d’infinies membranes lumineuses dans la spirale ascensionnelle de l’extase cosmique. Les larmes coulent sur mes joues brûlantes. La femme divine me sourit d’un air béat, puis sort de son portefeuille une icône de la Sainte Trinité pour parcourir les chemins du sacré. Elle me la tend d’un geste d’amour inconditionnel en guise d’adieu. Je la remercie en m’inclinant, les mains jointes sur la poitrine. Puis prends l’icône, amulette de mon bonheur à venir et sort de la cathédrale en larmes. Au crépuscule, une brise fraîche sèche mes pleurs bienheureux. Cette rencontre fortuite ressemble à un clin d’œil du Grand Esprit qui du haut de son inconcevable manège céleste protège mes pas, favorise mes inspirations et gère à merveille mes voyages. Car l’Univers me fait toujours pérégriner avec Cosmique Tour, l’agence de voyage galactique où tout est toujours parfait et magnifique, où tout arrive à point nommé et pour une bonne raison. J’éclate de rire toute seule dans le vent du soir, traversée par l’euphorie grisante de la force d’amour du Mystère. 

Melnik

Melnik

Une drôle d’histoire comme une légende

Sur la colline, repose un sanctuaire thracien aux fondations en glaise, oublié des visiteurs. Ce temple fut brûlé et détruit au 4ème siècle par les Goths puis devint l’église Saint Nicolas qui domine maintenant les hauteurs. Une forteresse aux massives fortifications fut érigée sur le haut plateau surplombant les falaises arides. Datant du 5ème siècle, elle est entourée d’abysses dominant les roches acérées et le précipice vertigineux de la vallée. Cet imposante construction, érigée sur le plateau face au vide fut d’abord Byzantine puis médiévale lorsque la cité de Melnik se développa au Moyen-âge. Au 12ème siècle, la forteresse devient la résidence du chef de la ville, un tyran surnommé le despote Slav. Il organisa alors la cité comme s’il en était le souverain alors qu’en réalité il s’autoproclama roi. Il construisit des monastères, des églises, des fortifications et s’accorda le pouvoir royal. Il nomma la cité capitale de son royaume et y fit construire un impressionnant palais. Elle fut dotée de quartiers riches où l’aristocratie s’installa. Le Despote Alexus Slav créa ainsi sa petite Bulgarie. Comme son histoire me fascine, voici quelques mots sur ce singulier personnage qui pourrait incarner un héros d’une légende initiatique. De l’ombre et de la lumière de son histoire, on pourrait tirer la morale suivante : on récolte ce que l’on sème. Voici des bribes de la biographie de ce personnage, qui vécut au 13ème siècle. Cet étrange personnage était relié par le sang et par le mariage aux trois grands pouvoirs majeurs dans les Balkans à cette époque : la Bulgarie, l’empire latin et l’empire byzantin. Premier descendant de la dynastie royale bulgare Asen, il est le fils de la sœur du tsar Theodor. En quête de pouvoir et de renommé, il épouse la fille de l’empereur romain de Constantinople, l’empereur Henry de Flandres. Puis se marie une deuxième fois après un précoce veuvage, mais en changeant de camp. En fin stratège, il épouse la nièce de l’empereur byzantin Epirus, Theodore Komnenos. Dû à son rang de naissance, il devient alors le prétendant au trône au royaume de Bulgarie, parmi plusieurs de ses cousins. Cependant, Le Despote Slav ne désire guère partager le pouvoir et la promesse d’être roi l’exalte plus que tout. Et il ne saurait pour rien au monde y renoncer. Il décide alors de faire un coup d’état et de s’autoproclamer roi. Il établit ainsi sa cité dans une province indépendante du sud du royaume de Bulgarie. Dans cette petite ville, il crée alors un royaume de stabilité et de prospérité, une île d’abondance, de créativité et de développement spirituel. Il comprend très vite l’importance de créer un centre épiscopal puissant dans la nouvelle cité royale dont le rayonnement parviendra à maintenir la paix dans son royaume. Se sentant soutenue, il régnera sur son peuple, son plus grand rêve. En visionnaire conquérant, il fait alors construire des monastères, des églises ainsi qu’une forteresse dont l’héritage culturel perdurera jusqu’à nos jours. Il développe l’architecture et la décoration intérieure des maisons ainsi que la tradition de la céramique. D’une ambition démesurée, ce roi de légende brûle de faire de sa cité la mégapole la plus puissante des Balkans dont l’avènement allait rayonner à travers toute l’Europe. Il y parvient dans une certaine mesure car sa cité finira par rejoindre le royaume de Bulgarie, après une guerre contre l’empire byzantin qui la convoite. Sa cité se fait finalement rattacher à son royaume d’origine, après la victoire du royaume de Bulgarie contre les Byzantins. Mais son individualisme, sa tyrannie notoire, son opportunisme lui attirent de nombreux ennemis dans tous les royaumes. A la mort du tsar, le nouveau Tsar Ivan Asen 2 décide de placer un autre dirigeant à la tête de cette nouvelle cité phare du royaume. Commence alors la chute du Despote Slav. Il se fait alors construire un mausolée à l’image des empereurs byzantins. Lors des fouilles à l’intérieur du tombeau, on a découvert, un corps d’un homme, d’une jeune femme, d’un adolescent d’une vingtaine d’année et d’un jeune enfant. Les archéologues pensent qu’il s’agit là de la famille Slav, décédée de mort violente. Car on a retrouvé les traces d’un verdict décidé par le pape de Rome de les faire assassiner, afin de les punir de leur mauvaise conduite.

Monastère de Rila

Escapade au monastère de Rila

J’ai l’immense de chance de visiter ce chef d’œuvre de l’art orthodoxe à l’aube, juste avant de quitter les terres bulgares, chargées de tant d’histoires. La cerise sur le gâteau de mon périple dans ce pays. Le monastère de Rila, un extraordinaire complexe orthodoxe, considéré comme le trésor de la Bulgarie. Il repose magnifiquement au cœur de la montagne du même nom, où deux onctueuses rivières s’épanchent avec vitalité. Fondé par le patron céleste du peuple bulgare, le révérend Jean de Rila, au début du 10 -ème siècle, ce lieu sacré séculaire symbolise le pilier de l’esprit bulgare et de son identité culturelle la plus profonde. Considéré par les mystiques et par les souverains qui le vénéraient, comme un foyer de sainteté et un lieu de culte irremplaçable, le monastère représente un patrimoine d’une richesse inouïe, composé de livres saints, d’œuvres d’art, d’icônes sacrées, de vêtements liturgiques. Au cours de la Renaissance bulgare du 18ème et 19ème siècle, des écoles furent créées au sein du monastère. Lors de la libération du pays de la domination ottomane, la vie spirituelle y atteignit son apogée. De nos jours, ce somptueux sanctuaire renferme encore des reliques sacrées et impérissables de Saint-Jean de Rila. Elles représentent encore pour les fervents fidèles une énergie divine incarnée, source de consolation, d’inspiration céleste et de miracles réalisés. A l’aube fraîche, je rallie ce lieu sacré orthodoxe caché dans la montagne. Et émerveillée, je pénètre au sein de ce complexe remarquable, doté d’églises, de cellules, d’habitations, de musées telle une cité médiévale. De hautes constructions en pierre massive, édifiées au cœur d’une dense forêt au pied des montagnes, encerclent avec un charme antique le précieux monastère. Erigée au centre d’une vaste cour pavée, l’église sophistiquée et rougeâtre est dotée de trois dômes aux couleurs solaires qui dominent les élégantes arches du parvis. Autour, les bâtiments fastueux construits en étage recèlent également des arches gracieuses aux teintes rouge et blanc. Le faste insensé de l’architecture grandiose du monastère est à couper le souffle. Dès le premier coup d’œil, on comprend aisément pourquoi il est considéré comme le joyau le plus précieux du pays. Je déambule subjuguée, au gré des nobles bâtiments du complexe religieux. Des fontaines généreuses déversent leur eau pure dans des bassins de pierre, comme il y mille ans. Puis me laisse convaincre par un visiteur de découvrir les trésors inconcevables que recèlent les différents musées du monastère. Une gardienne nommée Ana me balade au pas de course à travers les étages d’une opulente beauté. Dotée d’un gigantesque trousseau de clés, digne d’un livre de contes et légendes, la conservatrice des lieux saints m’entraînent de pièces en pièces, comme si je visitais un château à la vitesse de l’éclair. D’un geste vif qui traduit l’habitude, la dame dynamique ouvre chaque salle à l’aide d’une énorme clé d’un autre temps, ce qui attise le feu de mon imaginaire. Je découvre, ébahie des vues des étages, qui plongent sur les coupoles de l’église de la Naissance de la Vierge, que des monts verdoyants aux pics arides encerclent avec une grâce céleste. Puis au fil des différents musées, je me laisse émouvoir par de gracieuses icônes parées d’éléments d’or et d’argent, de nobles costumes richement décorés, de fines broderies luxueuses ou de luxueux bijoux dotés de pierre précieuses. Au sein de la magnificence du monastère, la visite s’apparente à un voyage resplendissant à travers les prodiges de l’art bulgare depuis plus de dix siècles. Mais le plus impressionnant reste à venir : la découverte du faste incommensurable du cœur de l’église. Ce fabuleux sanctuaire est recouvert d’une abondance de fresques colorées, à la beauté sans pareil. Elles illustrent l’histoire religieuse orthodoxe avec un art inégalé. Il faut un temps immense pour admirer les infinies illustrations qui semblent déborder des murs, des plafonds, des coupoles ou des alcôves, en une orgie de figures et de teintes. Aussi, un vertige me saisit face à l’iconostase géant. Il s’étire en une débauche de scintillements d’or sculpté qui encadre les icônes saintes de Jésus et de Marie. Au centre, une immense rosace de marbre blanc et noir habille le sol, au-dessus de laquelle est suspendue un gigantesque et lourd cercle d’or, contenant de nombreux encensoirs selon la tradition orthodoxe. Il semble me noyer entière dans un océan de magnificence, dévoilant à profusion l’exubérance de ses peintures, de ses dorures, de ces couleurs. Au sein de ce manège foisonnant, il me semble tourbillonner entre malaise et extase, tant ce déploiement de joyaux dépasse de loin l’entendement. Comme ivre, mes sens chavirent en ce décor pharamineux et éblouissant. Lorsque je quitte ma douce transe et sors de l’église, une foule a déjà rempli la cour du monastère, venue admirer ce glorieux chef d’œuvre artistique. Je suis alors heureuse d’avoir pu le visiter à l’aube, dans la solitude inspirante du petit matin. Face au monastère et à la rivière cristalline qui le borde, je prends un encas dans une auberge traditionnelle. Un état de pure félicité me traverse alors. Lorsque le soleil grimpe au zénith, je décide de rentrer à Sofia. Comme il n’y point de bus, j’arrête alors un véhicule sur le parking du monastère, afin de rejoindre une ville à proximité, ce qui me permettra par la suite de regagner la capitale. Un couple accompagné d’un enfant a la gentillesse de me raccompagner. Ils ont même la générosité de m’inviter à déjeuner dans une auberge du bord de route, noyée dans la verdure. Tandis que nous nous racontons, leur petite fille s’amuse avec les chats de la maison qui jouent dans l’agréable jardin. Je remercie ces anges de la dernière heure de me faire vivre de si douces et exaltantes expériences, lors de mes ultimes instants sur les terres bulgares.

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